Gestion d’un échec esthétique et restitution du sourire 26 octobre 2023
La réhabilitation implantaire dans la zone antérieure nécessite souvent une planification de traitement complexe et exigeante. En effet, l’aspect esthétique résulte de l’équilibre entre les composants muqueux péri-implantaires d'une part et les restaurations dentaires d'autre part. Les techniques de laboratoire évoluent et permettent aujourd'hui grâce aussi au talent de nos prothésistes d'obtenir un maximum de similitudes entre les reconstitutions prothétiques et les dents naturelles. L’atrophie osseuse et la perte des tissus mous liées à la perte des dents, font de la reconstruction des tissus durs et mous autour des suprastructures, un véritable défi. Dans ces situations, l'accent est mis sur une analyse appropriée des altérations des tissus durs et mous suite à la perte des dents, ainsi que sur les attentes du patient afin de mettre tous les moyens que nous avons à notre disposition pour atteindre nos objectifs esthétiques et fonctionnels.
Le cas clinique qui suit souligne l'importance d'une approche multidisciplinaire pour obtenir les résultats souhaités, tels que la combinaison de la planification prothétique, avec la préparation parodontale, les choix chirurgicaux et prothétiques puis leur exécution. L’ensemble des étapes pour la réhabilitation d'un site sont décrites, de l’analyse initiale jusqu’au résultat final.
ANAMNESE, EXAMENS CLINIQUES ET RADIOGRAPHIQUES
Notre patiente âgée de 47 ans, en bonne santé générale, se présente pour la première fois à notre consultation en juillet 2020. Elle est alors adressée par son praticien pour un avis sur son incisive centrale droite (11) préalablement réhabilitée par une restauration implanto-portée fixée. Le motif de consultation est en premier lieu esthétique. L’interrogatoire met en évidence la notion d’une perte accidentelle de la dent suite à un traumatisme en 2018 ainsi qu’un comblement alvéolaire avec un matériau à base de corail dans ce même site. L’examen exo buccal montre un visage tout à fait harmonieux avec une répartition équilibrée des étages de la face. La patiente découvre largement au sourire (classe 2 de Liebart) mais elle le contrôle, afin de ne pas trop montrer ce qui la gêne, laissant tout de même apparaitre au sourire forcé les collets ainsi que la fausse gencive.
L’examen endobuccal montre en effet une restauration implanto-portée en 11 avec une dent plus longue, une fausse gencive ainsi qu’une partie métallique et une perte partielle des papilles en mésial et en distal de la 11( Indice PI - 2 - Jemt -1997).
Par ailleurs, il a été noté une présence de poches parodontales de profondeur moyenne au niveau de la 11 et des dents postérieures maxillaires avec des gencives œdématiées et des saignements au sondage. Aucune pathologie occlusale ni temporo-mandibulaire n’a été notée.
L’examen radiologique met en évidence un implant en position profonde dans le sens apical, légèrement distalé et une radio-clareté au niveau du col et des deux premières spires plus importante en distal qu’en mésial. Il semble évident aussi que l’axe implantaire est trop vestibulé, ce qui a provoqué sans doute une position apicale du collet.
CHOIX THERAPEUTIQUE ET PLAN DE TRAITEMENT
L’analyse de l’ensemble des éléments cliniques et radiologiques, nous a mené à proposer en premier lieu, un assainissement parodontal approfondi suivi d’une phase de réévaluation, indispensable et décisive pour la suite du traitement. L’état parodontal étant maitrisé au bout de cette première phase, la solution thérapeutique choisie dépendra de la motivation de la patiente mais se doit d’être dans tous les cas, la plus à même de répondre à la demande esthétique, de rétablir le sourire et l’harmonie dentaire et muqueuse.
Dans notre situation, la dépose puis la repose de l’implant, passant obligatoirement par la reconstruction osseuse puis muqueuse, nous semble être la solution la mieux adaptée pour recréer un environnement ostéo-muqueux qui permettrait d’obtenir cette harmonie dento-dentaire et dento-muqueuse.
La temporisation avec un appareillage amovible partiel en résine est conseillée afin de pouvoir la retoucher régulièrement pendant les différentes phases de traitement. Elle sera suivie d’une restauration prothétique implanto-portée fixée provisoire puis définitive.
La durée globale de ce traitement est estimée à 18 mois
ÉTAPES DE TRAITEMENT
Etape 1 : Dépose implant – bouchon gingival - pose d’une PAP.
Dépose de la couronne scellée puis la vis du pilier étant abimée, celle-ci est déposée par fraisage. L’implant 11 est déposé à l’aide d’un tourne à gauche.
La réflexion quant à la gestion des tissus mous commence dès cette phase par le positionnement d’un tissu punch épithélio-conjontif prélevé au niveau de la tubérosité à l’aide d’une tréphine de 8mm de diamètre et placé au niveau de la 11 de façon à boucher l’alvéole. Il est ensuite suturé avec du fil 6/0 PGA et par des points discontinus.
Etape 2 : Pose implant 11 + ROG
À 4 mois post dépose de l’implant, notre patiente présente cliniquement une bonne hauteur de crête mais un effondrement de l’os vestibulaire mis en évidence par le CBCT qui montre une absence de la table vestibulaire sur son 1/3 coronaire environ. La situation est en faveur d’une régénération osseuse guidée (ROG) associée à la pose d’un implant en simultané. Une empreinte optique permet dans ce cas la planification implantaire en fonction du volume à reconstituer puis l’impression du guide chirurgical.
Après une incision crestale en 11 puis intrasulculaire de 21 à 13 ainsi que deux incisions de décharge en disto vestibulaire de 21 et 13, un lambeau mucoperiosté est levé en vestibulaire et en palatin. Des incisions périostées en vestibulaire sont ensuite réalisées afin de libérer le lambeau et anticiper une fermeture sans tension du site après l’augmentation osseuse.
Pose de l’implant 11 par chirurgie guidée statique suivie d’une ROG avec une grille en titane découpée manuellement, fixée à l’aide de 2 clous en palatin et 1 clou en vestibulaire. Le comblement osseux est réalisé à l’aide d‘un mélange d’une xénogreffe et d’une allogreffe. L’ensemble est recouvert d’une membrane résorbable, elle-même fixée aussi par 1 clou en palatin et 2 clous en vestibulaire. Les lambeaux sont suturés avec du fil 5/0 et 6/0 PGA par des points matelassiers horizontaux et des points discontinus.
Une radiographie rétro-alvéolaire post opératoire puis une prescription d’antibiotiques, corticoïdes, antidouleur codéiné et bains de bouche est remise à la patiente qui est revue à deux semaines puis à six semaines pour le contrôle post opératoire.
Etape 3 : Dépose de la grille et greffe de conjonctif enfoui
À six mois post ROG, un autre CBCT est réalisé pour apprécier la qualité de l’augmentation osseuse avant de déposer la grille. Le même schéma d’incision mais avec une seule décharge moins étendue au niveau de la 13 est alors réalisé pour pouvoir déposer la grille en titane. L’implant complètement enfoui par la régénération osseuse est dégagé à l’aide d’une fraise puis ré-enfoui sous une greffe de conjonctif enfoui sur la crête réalisée dans la même séance. Les lambeaux sont suturés avec du fil 6/0 PGA par des points matelassiers horizontaux et des points discontinus. Le dégagement de l’implant est programmé à deux mois.
Etape 4 : Mise en fonction 11/ étapes prothétiques
Deux mois après la dépose de la grille, l’implant est dégagé par un tissu punch. Un pilier provisoire est mis en place dans le but de réaliser une empreinte en vue d’une couronne provisoire implanto-portée.
Après une phase de temporisation de quelques semaines, une couronne définitive est réalisée par le praticien traitant. Elle est associée à la reprise de la 21 par la réalisation d’une facette vestibulaire (Prothèse Dr Fanny Blanchet).
DISCUSSION
La particularité de ce cas réside évidemment dans la gestion esthétique qui dépend elle-même d’une gestion minutieuse des tissus mous et durs pour recréer un environnement muqueux et dentaire harmonieux de cette incisive centrale avec les dents adjacentes. Cette particularité est d’autant plus à considérer lorsque l’on prend en compte le risque que pourrait représenter la dépose de l’implant. D’une part, l’inévitable effondrement tissulaire qui s’en suit, d’autre part le risque de ne pas atteindre le résultat esthétique promis au patient.
Dans notre cas, la dépose de l’implant associé à la perte osseuse initiale suite au trauma et à l’extraction de la dent a effectivement entrainé un effondrement vestibulaire des tissus durs et mous prévisible et d’emblée pris en compte dans le plan de traitement.
La perte de hauteur représente un défi lors de la pose d'implants dans le secteur antérieur où l'objectif est de rétablir la fonction mais aussi d’atteindre les principaux objectifs esthétiques qui sont : obtenir un collet gingival harmonieux, maintenir voir recréer les papilles et obtenir ou conserver un contour convexe du rebord alvéolaire.
Ici, la manipulation des tissus mous, la reconstruction tridimensionnelle des tissus durs et mous puis la pose précise de l’implant dans une approche axée sur le résultat définitif de la restauration prothétique, sont les pièces maîtresses pour un résultat esthétique optimal.
La perte osseuse vestibulaire dans le sens horizontal et vertical correspondant à une classe III selon la classification de Benic et Hammerle 2014 et donc un volume osseux apical et palatin suffisant pour permettre la pose d’un implant simultanément à une procédure d’augmentation osseuse.
Dans ce cas, le positionnement de l’implant doit être régi tout d’abord par les règles prothétiques et esthétiques. La planification implantaire avant la chirurgie est l’un des aspects clés de la réussite des réhabilitations esthétiques dans le secteur antérieur.
Par ailleurs, Il a été démontré par R. Fürhauser et al. 2022 que plus l’implant est positionné en palatin, moins le déplacement apical des tissus mous vestibulaires est observé. La position de l'épaulement de l'implant doit être planifiée de préférence à plus de 2 mm en palatin par rapport au point d’émergence idéal de la couronne implantaire.
Du point de vue osseux, plusieurs techniques peuvent être utilisées pour obtenir un gain osseux vertical et horizontal mais la régénération osseuse guidée combinant membrane non résorbable et substituts osseux reste la méthode la plus courante et la mieux documentée avec d'importants taux de succès clinique et histologique à long terme rapportés par la littérature.
Les niveaux osseux marginaux des dents adjacentes sont utilisés comme référence pour la régénération osseuse guidée. Plus le niveau d’attache clinique des dents adjacentes est sain, meilleur est le pronostic de régénération osseuse guidée dans le sens vertical. Ce niveau d’attache peut donc indirectement influencer la possibilité de recréer la papille inter-dentaire, dont la présence et la hauteur sont affectées aussi par la distance verticale entre la crête osseuse et le point de contact dento-prothétique. D’un autre côté, la greffe de conjonctif enfoui aide à la restructuration des tissus mous perdus et à renforcer le bandeau de tissus kératinisés autour de l'implant, jouant un rôle dans la prévention des maladies péri-implantaires.
CONCLUSION
La position initiale de l’implant a entrainé un résultat esthétique inadéquat. La dépose et repose d’un implant dans des conditions optimales associée à la reconstruction des tissus durs et mous a permis de redonner à la patiente un sourire harmonieux à travers une restauration implantaire symétrique à l’incisive centrale adjacente tant au niveau dentaire qu’au niveau du rose.
LECTURES CONSEILLÉES
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- Da Silva Salomão G.V. et al. The importance of prosthetic planning for implant-supported dentures in esthetic zones – A case report. International Journal of Surgery Case Reports 54. 2019:15–19
- Fürhauser R Bucco-palatal implant position and its impact on soft tissue level in the maxillary esthetic zone. Clin Oral Impl Res. 2022;33:1125–1134.
- Fürhauser R et al. Bucco-palatal implant position and its impact on soft tissue level in the maxillary esthetic zone Clin Oral Impl Res. 2022;33:1125–1134.
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- Zucchelli G et al. Esthetics in periodontics and implantology. Periodontology 2000, Vol. 77, 2018
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