Gestion esthétique et aménagement muqueux du secteur antérieur - A propos d’un cas 19 décembre 2022
La perte d’un organe dentaire dans le secteur maxillaire antérieur nécessite pour son remplacement une projection du résultat final quant aux résultats esthétiques et fonctionnels.
Les solutions thérapeutiques sont multiples allant des actes peu invasifs tels que la prothèse adjointe partielle ou le bridge collé, au plus invasifs telles que la prothèse conjointe ou la prothèse implanto-portée.
L’exigence accrue des patients quant à l’atteinte de ces objectifs alliant harmonie et confort, nécessite une réflexion type algorithmique dans la reconstruction du site atteint : séquentiellement étapes osseuses, gingivales, choix implantaire, niveau d’insertion, zone muqueuse de transition, prothèse transitoire, temporisation, matériaux, et prothèse finale d’usage doivent être considérés.
Dans le cas clinique choisi on observe une agénésie des incisives latérales maxillaires, les 12 et 22. L’ensemble des étapes pour la reconstruction des sites sont décrites. Le point départ est l’analyse initiale suivie d’étapes successives jusqu’au résultat final.
ANAMNESE, EXAMENS CLINIQUES ET RADIOGRAPHIQUES
La patiente âgée de 22 ans, jeune et souriante, adressée par notre confrère souhaite harmoniser son sourire en comblant l’espace vide généré par l’agénésie des 12 et 22. A présent, une prothèse adjointe base métal assure ce rôle. Nonobstant le résultat acceptable fourni par cette option, l’impact psychologique d’une prothèse amovible semble l’emporter dans son esprit au vue des données médiatiques actuelles.
Aucune pathologie d’ordre médicale n’entrave la prescription d’un traitement implantaire. La consommation de cigarettes est limitée à 5-8 cigarettes par jour, facteur à ne pas négliger pour les cicatrisations muqueuses.
En analysant le sourire de la patiente, on note une catégorie de classe 3 de LIEBART laissant entrevoir des espaces interdentaires occupés par des papilles fines bien installées dans les embrasures cervicales des dents adjacentes. Le diastème interincisif, n’étant pas identitaire pour la patiente, sera fermé avec des apports de composite. L’aspect du visage apparait équilibré par une répartition harmonieuse des étages.
A l’examen intra-oral on observe un parodonte sain, une gencive kératinisée suffisante, non inflammatoire, soutenue par une absence de plaque dentaire et de saignement. Le biotype parodontal est fin et festonné. Les niveaux d’attache en mésial des canines et distal des centrales sont stables. Le sondage parodontal ne présente aucune poche. On note une occlusion statique et dynamique stable et reproductible ainsi qu’un guide antérieur fonctionnel en absence des incisives latérales.
L’examen radiologique panoramique ne révèle aucune perte osseuse interproximale et une absence de toute lésion endodontique. Cependant, les données 3D du cone beam montrent un volume osseux relativement réduit dans le sens vestibule-palatin au niveau de la 12 et de la 22. L’épaisseur osseuse mesurant environ 3 mm pour chaque site, nous nous trouvons en présence d’une crête édentée de classe 3 d’ATWOOD ; pour palier à ce déficit une augmentation osseuse horizontale des sites implantaires s’avère indispensable.
CHOIX THERAPEUTIQUE ET PLAN DE TRAITEMENT
En combinant l’ensemble des données cliniques et radiologiques, nous confirmons à la patiente et au praticien traitant la possibilité de restaurer les sites par des prothèses implanto-portées. Des corrections des déficits osseux par augmentations osseuses avec des techniques de régénération osseuse, des épaississements des tissus parodontaux par l’adjonction de greffes conjonctives enfouies et des bridges « type Maryland » durant la période de transition initiale évitant toute compression au niveau des sites greffés ; par la suite des prothèses provisoires transvissées assurant des mises en esthétique en formatant les émergences transgingivales pour un résultat esthétique final optimal seront prescrites. Ces prothèses provisoires seront aménagées pour exclure toute fonction occlusale.
Pour réaliser ce traitement, des étapes chirurgicales et prothétiques successives seront au nombre de 4 pour une durée totale de 16 mois :
A – La réalisation d’une régénération osseuse guidée (ROG) en épaisseur est faite par apport d’un mélange osseux xénogreffe-allogreffe à 50/50. L’apport osseux assure une compensation volumétrique des futurs sites implantaires ; pour sa stabilité il est nécessaire de placer une protection à l’aide d’une barrière l’isolant de la muqueuse gingivale. Notre choix s’oriente vers des membranes collagéniques résorbables à doubles faces Creos® (Nobel Biocare), elles sont fixées à l’aide de 2 clous en palatin et d’1 clou en vestibulaire (Mondeal, IPP Pharma). Cette démarche permet de parer à d’éventuelles complications muqueuses post-opératoires. Des incisions périostées vestibulaires profondes permettent d’augmenter l’élasticité tissulaire et d’effectuer des sutures types matellassées horizontales pour une bonne adaptation conjonctive bord à bord.
B - A 8 mois la deuxième étape est entreprise. L’analyse de l’augmentation osseuse obtenue sur le cone beam nous oriente vers le choix de deux implants Nobel Active® CCNP 3.5 x 13mm (Nobel Biocare). Des lambeaux d’épaisseur totale sont réalisés et la pose des implants avec un torque chirurgical d’insertion de 35 Ncm est faite, les vis de couverture sont placées. A ce stade l’épaississement des tissus muqueux est assuré avec des greffes de tissu conjonctif tubérositaire, désepithélialisé et placé dans l’intrados des lambeaux vestibulaires.
C – A deux mois l’exposition des implants est faite. Une approche de « tissu punch » est choisie pour le site de 12, quant au site de 22, une technique de lambeau roulé modifié semble plus adapter. Ces techniques peu invasives évitent toute agression tissulaire supplémentaire au niveau des papilles et des gencives adjacentes.. Des piliers serrés à 20 Ncm sont mis en place. La mise en esthétique avec des couronnes provisoires de laboratoire tranvissées dans les implants est faite quelques jours plus tard.
D – A 6 mois, les tissus mous bien stabilisés, les lits gingivaux bien dessinés, les papilles bien installées, la réalisation des prothèses d’usage est entreprise par le praticien traitant, Docteur HEDJAZIAN.
DISCUSSION
L’harmonie créée entre les quantités de rose et de blanc est nécessaire. Elle est visible lors d’un sourire. Elle est tributaire de l’intégration prothétique dans son environnement muqueux. La zone de transition entre le col de l’implant et le bord libre gingival, riche en informations : texture, colorimétrie, géométrie, présences papillaires,… constituant le lit de la future restauration devient un corollaire de la morphologie du pilier prothétique en passant d’une forme implantaire cylindrique à une morphologie dentaire personnalisée. L’esthétique prime.
Tour à tour, l’augmentation osseuse horizontale corrigeant la morphologie perdue par le biais d’un mélange osseux allogreffe/xénogreffe, le choix d’un implant de petit diamètre et d’un axe implantaire approprié pour une prothèse transvissée, ont aidé à une intégration prothétique dans un environnement gingival stabilisé.
Ces principes sont en accord avec Fu et al. qui ont proposé une approche fondée sur les principes de la triade esthétique : le PDP pour augmenter l’épaisseur du tissu mou; où « P » représente la position de l’implant, « D » le design de l’implant et « P » la conception prothétique. Selon ces auteurs, les facteurs clés sont l’utilisation d’implants intégrant le concept du « Platform-Switching » ou d’implants cylindriques, la pose des implants en position plus palatine et apicale, et la conception de modèles prothétiques au profil concave afin de réduire la perte de l’os et des tissus mous péri-implantaires. Il est important de souligner que la position palatine des implants est nécessaire afin de palier aux phénomènes d’éruption passive des dents adjacentes lors de la croissance. Les implants étant ankylosés ne suivent pas ainsi la croissance des procès alvéolaires et se trouvent en infraposition avec le vieillissement.
Ainsi la réalisation d’une réhabilitation prothétique fixée transitoire de qualité est un gage à l’obtention d’une future prothèse définitive adéquate conformément au principe de biomimétisme de Magne et Belser.
CONCLUSION
L’importance de l’esthétique pour le patient doit nous guider dans l’établissement de nos traitements. Le secteur antérieur, de par sa spécificité, nécessite une anticipation particulière du praticien. Les aménagements des tissus mous péri-implantaires et leur intégration au projet prothétique seront donc déterminants.
Chaque cas de figure est unique, avec ses particularités, ses limites et ses impératifs et doit donc être traité de la sorte. Le praticien sera alors le décideur final du plan de traitement adapté à la situation, mais c'est en connaissant les différentes étapes envisageables avec leurs avantages et leurs inconvénients, qu'il pourra ainsi obtenir des résultats esthétiques optimums.
Une restauration pérenne sur les plans esthétique et fonctionnel suppose une intégration globale de l’implant : au cœur de cette équation, le positionnement tridimensionnel de l’implant.
BIBLIOGRAPHIE SUGGÉRÉE
Linkevicius T, Apse P, Grybauskas S, Puisys A. - Reaction of crestalbonearound implants depending on mucosal tissue thickness. A 1-year prospective clinicalstudy. Stomatologija. 2009;11(3):83-91.
Amzalag G, Irurzun J-P - Principes et buts de la prothèse de transition lors du traitement implantaire Revodontostomatol 1996 ;25 :471-481
Atwood D. A. - Postextraction changes in the adult mandible as illustrated by microradiographs of midsagittal sections and serial cephalometric roentgenograms. Journal of Prosthetic Dentistry . 1963;13(5):810–824
Duffort S. - Gestion du profil d’émergence en implantologie Rev OdontoStomatol2011 ;40 :117-129
González-Martín O, Lee E, Weisgold A, Veltri M, Su H. - Contour Management of Implant Restorations for Optimal Emergence Profiles: Guidelines for Immediate and Delayed Provisional Restorations. Int J Periodontics Restorative Dent. 2020 Jan/Feb;40(1):61-70. doi: 10.11607/prd.4422. PMID: 31815974.
Liébart MF, Fouque-Deruelle C, SantiniA. - Smile line and periodontium visibility. Perio. 2004; 1 (1) :17-25.
Magne P, Belser UC. - Restaurations adhésives céramiques sur dents antérieures : approche biomimétiques. In :Paris : Quintessence international 2003
Rodriguez AM, Rosenstiel SF. - Esthetic considerations related to bone and soft tissue maintenance and development around dental implants: report of the Committee on Research in Fixed Prosthodontics of the American Academy of Fixed Prosthodontics. J Prosthet Dent. 2012 Oct; 108(4): 259-67.
Romanos GE, Schröter-Kermani C, Weingart D, Strub JR. - Health human periodontal versus peri-implant gingival tissues: an immuno histochemical differentiation of the extracellular matrix. Int J Oral Maxillofac Implants. Déc 1995;10(6):750-8.
Saadoun AP, Kricheck M, Jammes F. - Aménagement esthétiques des tissus durs et des tissus mous périimplantaires. J Paro &Implanto Orale 1997 ; 16, 4 : 3 8 1 - 3 9 2
Schoenbaum TR, Chang YY, Klokkevold PR, Snowden JS. - Abutment emergence modification for immediate implant provisional restorations. J EsthetRestor Dent. 2013 Apr; 25(2): 103-7.
Szmukler-Monder S, et al. - Protocoles de mise en charge et de temporisation immédiates.Implant. 2013 ;19 :7-34.