Habitudes de vie et facteurs de risque dans la prise en charge parodontale 25 avril 2022
Un article par le Dr. Zeineb Hamdi, membre du Study Group, et les Drs Alexandre Courtet, Maria Clotilde Carra et Lauranne Jaumet publié dans L'Information Dentaire n°5 du 9 février 2022.
La prise en charge des maladies parodontales a longtemps été centrée sur l'amélioration des paramètres cliniques (perte d'attache clinique, profondeur de poche parodontale, saignement). Les aspects plus subjectifs tels que l'altération de la qualité de vie, le bien-être, l'environnement socio-économique n'étaient pas pris en considération, conduisant pour certains patients à une insatisfaction dans leur prise en charge. La parodontite, en tant que maladie inflammatoire chronique multifactorielle, présente de multiples et complexes relations avec d'autres maladies systémiques (diabètes, maladies cardiovasculaires, obésité) et facteurs comportementaux (tabagisme, stress, nutrition). Ils influencent négativement la qualité de vie générale et orale. Une approche personnalisée et holistique du patient parodontal est nécessaire.
Habitudes de vie: défaut de coping face au stress, activité physique et nutrition
Les études montrent qu'une exposition répétée à des facteurs de stress produit des effets systémiques directs et indirects. En effet, un niveau élevé de stress augmente la production d'hormones glucocorticoïdes, conduisant à une augmentation de la perte osseuse [1] et une aggravation des paramètres parodontaux [2]. Le stress est également associé à une mau vaise adaptation et adhésion au traitement (contrôle de plaque irrégulier, reprise du tabagisme, malnutrition et inactivité physique) [3, 4]. Il est primordial de connaître le contexte de vie du patient dans le but de l'aider à maintenir un état de santé parodontale. Il existe des questionnaires et des échelles mesurant le niveau de stress (échelle du stress perçu de Cohen et al. [5] par exemple) (fig. 1). Le praticien peut être amené à intégrer ces outils dans son exercice et à orienter son patient vers un psychologue ou d'autres spécialistes dans le domaine de la médecine du stress [6]. L'activité physique semble avoir un impact positif sur la santé parodontale, notamment par réduction du stress [7]. Des travaux indiquent ainsi qu'une pratique physique régulière constitue un facteur protecteur de parodontite. Une fré quence élevée de la pratique physique serait directement liée à la réduction du taux de prévalence d'incidence de la paro dontite [8, 9]. Les carences vitaminiques (vitamines A/B/C/D/E, coenzyme Q10) et minérales (calcium, magnesium, fer, zinc, potassium) ont un impact sur la prévalence de la parodontite. Les micro nutriments influencent les immunités innée et adaptative ainsi que la cicatrisation (10]. Concernant les macronutri ments, les données scientifiques actuelles démontrent qu'un régime riche en glucides augmente le risque d'inflammation et de saignement gingival [8, 11]. Fournir des conseils diété tiques adaptés et référer le patient parodontal à un diététicien
Tabagisme et alcool
Le tabagisme est l'un des facteurs de risque modifiables impli qués dans l'incidence et la progression des maladies paro dontales et affections péri-implantaires [12]. Il altère la flore microbienne et la réponse inflammatoire. Une forte consom mation d'alcool potentialise les effets néfastes du tabagisme [13]. La réalisation d'un test de Fagerström permet d'évaluer la dépendance nicotonique [14]. Une approche parodontale per sonnalisée doit intégrer le sevrage tabagique et la réduction de la consommation d'alcool. Différentes approches motivationnelles et pharmaco logiques existent. Des étapes de changement de comporte ment (« modèle transthéorique ») [15] ont été développées pour décrire ce processus en cinq étapes: précontemplation, contemplation, préparation, action et maintien (fig. 2). Il est important que chaque clinicien comprenne la position de son patient dans ce processus pour lui fournir des conseils adap tés sur le sevrage tabagique. La méthode des « 5A » peut éga lement être employée. Il s'agit d'une méthode de repérage du tabagisme, d'encouragement à l'arrêt et au maintien de l'abstinence, adaptée au degré de motivation du patient [16]. Elle se fonde sur un conseil professionnel destiné à modifier le comportement: Ask (poser des questions), Advise (conseiller), Assess (évaluer), Assist (aider, soutenir) et Arrange (organiser).
EN RÉSUMÉ
Le tabagisme est impliqué dans l'initiation et la progression des maladies parodontales et péri-implantaires. L'alcoolisme potentialise ses effets.
Maladies cardiovasculaires
Les maladies cardiovasculaires sont responsables d'environ 18 millions de décès annuels dans le monde [17]. Les revues systématiques de Dietrich et al. [18] et de Herrera et al. [19] soulignent une association positive entre la parodontite et la morbidité/mortalité cardiovasculaires. Les travaux menés par notre groupe indiquent de plus une association entre capa cité masticatoire et mortalité cardiovasculaire au sein d'une cohorte nationale (20,21]. Les mécanismes proposés [22] pour expliquer cette relation sont: - la bactériémie: les bactéries parodonto-pathogènes pénètrent dans la circulation sanguine [23], se fixant sur les plaques d'athérome et les valves aortiques fibro-calcifiées. Les toxines et protéases libérées participent au recrutement de leucocytes augmentant la réponse inflammatoire systémique; - l'inflammation systémique: des médiateurs inflammatoires (protéine C réactive, interleukines 4 et 6) sont retrouvés dans ces deux maladies chroniques inflammatoires. Il n'existe à ce jour aucune étude prospective randomi sée contrôlée sur la prévention primaire des maladies car diovasculaires grâce au traitement parodontal. Il y a peu de chance que ce type d'études voit le jour en raison des pro blèmes éthiques qu'elles soulèvent. Les paramètres d'éva luation du risque cardiovasculaire (fonction endothéliale, pression artérielle, taux d'interleukines) peuvent être amé liorés par le traitement parodontal 24, 25). Un patient atteint d'une parodontite présente un risque augmenté de maladies et complications cardiovasculaires. Il est conseillé d'effectuer le traitement parodontal non chirurgical en plusieurs séances pour minimiser l'inflammation systémique [26].
EN RÉSUMÉ
L'association diabète-maladie parodontale est la plus documen tée parmi les associations entre maladies parodontales et autres maladies. Les diabètes (type 1 et type 2) ont un effet bidirectionnel sur l'état parodontal: ils augmentent le risque parodontal et les parodontites augmentent le risque de diabète.
Obésité
L'obésité correspond à une accumulation anormale ou exces sive de graisse d'étiologie multifactorielle (alimentaire, géné tique, environnementale). Huit millions de Français sont obèses (17 % des adultes âgés de 18 ans et plus). L'obésité aug mente le risque de maladies cardiovasculaires et respiratoires, de diabètes, de troubles musculo-squelettiques et de cancers. L'inflammation chronique systémique de bas grade, également retrouvée dans les parodontites, est une conséquence de l'obé sité. Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer la relation bidirectionnelle entre obésité et parodontites [35]: déséquilibre entre médiateurs pro- et anti-inflammatoires, modifications des microbiotes oral et intestinal, altérations de la fonction masticatoire. Les patients obèses présentent un risque plus élevé de développer une parodontite (RR = 1,33 ; IC 95 % 1,21-1,47) [36], un risque plus élevé de perte dentaire (RR = 1,31; IC 95 % 1,04-1,65) [37] (fig. 4a et b) et une réponse diminuée au traitement parodontal non chirurgical [38].
La perte de poids conduit à une réduction de l'inflammation systémique qui pourrait améliorer la réponse au traitement parodontal [39]. Les patients obèses doivent être informés du risque de développement et/ou d'aggravation de leur parodontite.
EN RÉSUMÉ
L'obésité conduit à une inflammation systémique de bas grade. L'association obésité-parodontite est bien documentée. La prise en charge médicale de l'obésité est indissociable de la prise en charge parodontale.
Conclusion
Les maladies parodontales sont des maladies inflamma toires multifactorielles. Leur prise en charge doit s'appuyer sur un questionnaire médical personnalisé. Une anamnèse rigoureuse doit permettre la mise en évidence des facteurs de risque de maladies parodontales [40] (fig. 5). Habitudes de vie, nutrition, tabagisme et présence d'autres maladies sont à éva luer. Des conseils adaptés et une collaboration avec d'autres spécialités médicales (médecins, nutritionnistes, psycholo gues) font dorénavant partie intégrante de l'éducation théra peutique parodontale.
POINTS CLEFS :
- La parodontite est une maladie inflammatoire chronique multifactorielle dont la prise en charge doit être globale.
- Les mauvaises habitudes de vie, le défaut de coping face au stress, le tabagisme, la consommation immodérée d'alcool augmentent la prévalence de la parodontite.
- L'activité physique et une alimentation équilibrée peuvent avoir un impact protecteur vis-à-vis de la parodontite.
- Un patient atteint de parodontite présente un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires.
- Le diabète et l'obésité ont des relations bidirectionnelles avec la parodontite.
Évaluation :
- La profondeur de poche et la perte d'attache sont les seuls paramètres à évaluer lors d'une prise en charge parodontale.
- Un régime riche en glucides augmente l'inflammation gingivale.
- L'activité physique a un impact négatif sur l'augmentation de la prévalence de la parodontite.
- Une consommation d'alcool importante aggrave les effets néfastes du tabagisme sur la parodontite.
- La relation entre la parodontite et le diabète est bidirectionnelle.
- Il n'y a pas d'associations entre l'obésité et la parodontite
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