L’Orthodontie au service de l’Implantologie pour une prise en charge multidisciplinaire: cas d'un remplacement de deux incisives centrales associé à l’agénésie d’une incisive latérale 2 décembre 2021
L’Orthodontie au service de l’Implantologie pour une prise en charge multidisciplinaire: cas d'un remplacement de deux incisives centrales associé à l’agénésie d’une incisive latérale
L’orthodontie est une discipline sous-estimée en thérapeutique implantaire. Son coût, sa durée et la non-observance du patient rebutent les praticiens. Pourtant, l’orthodontie pré-implantaire rend service aussi bien sur le plan esthétique que fonctionnel. Bien menée, elle assure la mise en place d’une occlusion fonctionnelle et d’un sourire harmonieux.
Anamnèse, examens clinique et radiographique
Cette patiente, âgée de 36 ans, est adressée en vue du remplacement des 11 et 21. Elle ne présente aucun problème de santé générale et ne fume pas.
Lors du sourire, la patiente dévoile plus de 2 mm du parodonte marginal. C’est un sourire gingival associé à une classe 1 de LIEBART (1) (Fig. 1). Cet élément est particulièrement important à prendre en compte lors de restaurations implantaires dans le secteur antérieur car environ 10% de nos patients découvrent largement lors du sourire d’après Tjan et Miller. Ils sont donc particulièrement concernés par le resultat esthétique (2).
L’examen intra oral montre un phénotype épais, une agénésie de 12 et des diastèmes au niveau du secteur incisivo-canin maxillaire (en distal de 13 ainsi qu'en mésial de 22). L’occlusion est de classe II canine et molaire à droite et à gauche. Le guidage antérieur est fonctionnel. On note une déviation des milieux inter incisifs vers la droite (Fig. 2).
Figures 1 et 2
L’examen radiographique révèle deux résorptions cervicales invasives sur les 11 et 21. L'étendue de l'envahissement de la dentine est assez important faisant correspondre les 2 lésions à une classe 4 de heithersay (3) nécessitant l’extraction de ces deux incisives (Fig. 3 et 4). Le choix d’une solution fixe implantaire a été convenu avec la patiente qui se plaint par ailleurs de l’aspect esthétique de son sourire.
Figures 3 et 4
Choix thérapeutique et plan de traitement
Suite à la première consultation, un approfondissement de l’examen parodontal est réalisé à l’aide d’un charting parodontal mettant en évidence des poches entre 5 et 6 mm au niveau des molaires. Une thérapeutique initiale parodontale ainsi que l’extraction des 18 et 28 seront indiquées, empêchant une bonne maintenance des 17 et 27 et ne présentant pas d’antagoniste.
Afin d’adapter notre plan de traitement implantaire au projet prothétique esthétique qui doit s’inscrire dans une situation occlusale stable et fonctionnelle, une prise en charge orthodontique préalable a été nécessaire afin de corriger le décalage et de palier à l’agénésie de la 12. La solution orthodontique chirurgicale aurait été sans doute la meilleure solution avec laquelle nous aurions pu également impacter le maxillaire mais cette option n’a pas été souhaitée par la patiente. En accord avec elle, une solution de compromis a été retenue consistant à extraire la 25 afin de reculer et recentrer le secteur 13 à 23, garder la 13 à la place de la 12, afin de remplacer ensuite les 11 et 21 par des restaurations implanto-portées.
Étapes chirurgicales et prothétiques
Quatre mois après le début du traitement orthodontique, la 25 est extraire et deux minivis en vestibulaire de 16 et 26 sont mises en place afin de distaler les secteurs latéraux et antérieurs (Fig. 5).
Figure 5
L’absence de mouvement due à l’ankylose des 11 et 21 a abouti à leur extraction. L’extraction des 11 et 21 a été réalisée de la façon la plus atraumatique possible afin de préserver la table osseuse vestibulaire. Un comblement avec un os allogénique (BioBank) a été réalisé ainsi que la mise en place d'une gélatine Gélatemp de Roeko (Fig. 6). Une décoronation en post opératoire immédiat a été réalisée pour placer les couronnes sur l’arc orthodontique (Fig. 7 à 10).
Figures 6 à 10
Une fois le traitement orthodontique terminé (2 ans et 2 mois), l’orthodontiste (Dr Samer Katabi) a déposé le multibague mandibulaire et placé une contention de 33 à 43. Le multibague maxillaire a été déposé avant la pose des implants. Des couronnes provisoires immédiates sur implants seront réalisées ainsi qu’une gouttière de contention maxillaire.
L’examen du CBCT met en évidence une crête édentée relativement bien préservée suite aux extractions. On note un léger défaut osseux horizontal, mais pas de défaut osseux vertical. La largeur de la crête édentée mesure environ 6mm sur le site 11 et 4mm sur le site 21(Fig. 11). En accord avec la planification prothétique, les implants 11 et 21 seront posés en chirurgie partiellement guidée grâce à un guide forêt pilote[.
Figure 11
Le biotype parodontal est épais avec la présence d’une hauteur et d’une épaisseur de gencive kératinisée satisfaisante. Les papilles bordant l’édentement en mésial de 13 et en mésial de 22 sont partiellement présentes (Fig. 12 et 13).
Figures 12 et 13
Après réalisation d’un lambeau de pleine épaisseur, une régularisation de la crête osseuse est réalisée afin d’apicaliser le niveau de la crête par rapport aux futurs collets (Fig. 14).
Figure 14
Le guide chirurgical est mis en place pour le passage du foret pilote. Deux implants Nobel Active CC NP 3,5 x 11,5mm (Nobel Biocare) pour 11 et 21 sont mis en place (Fig. 15 et 16). On note la présence d’un balcon osseux d’au moins 2mm en vestibulaire des deux implants (Fig 17).
Figures 15 à 17
Des points discontinus après un amnénagement tissulaire sont réalisés afin de rapprocher les berges de la gencive marginale autour des piliers provisoires (Fig. 18).
La pose des composants prothétiques provisoires en per opératoire permettra de réaliser une mise en esthétique immédiate avec la réalisation de deux couronnes provisoires transvissées sur 11 et 21 (Fig. 18 à 20). Une attention particulière sera portée au réglage de l’occlusion: aucun contact ne doit exister que ce soit à la position statique en OIM que lors des déplacements dynamiques en latéralité et en propulsion. Des recommandations strictes sont données à la patiente avec l’interdiction de mastiquer sur les provisoires pendant au moins 2 mois et l’adoption d’une alimentation molle pendant cette période.
Figures 18 à 20
L’empreinte en vue des couronnes définitives sera faite à l’aide d’un transfert d’empreinte personnalisé permettant d’enregistrer la forme du berceau gingival créé à l’aide des prothèses provisoires. Le but étant de transmettre le maximum d’informations cliniques au prothésiste. On note le soutien de la papille interdentaire entre 11 et 21 grâce au septum osseux sous jacent et au point de contact entre les provisoires. Noter aussi le galbé vestibulaire harmonieux (Fig. 21 à 23).
Figures 21 à 23
La réalisation de deux couronnes scellées 11 et 21 sur piliers transvissés en zircone est indiquée car l’émergence des axes implantaires est orientée en vestibulaire, rendant impossible le rattrapage des axes avec une prothèse transvissée (Fig. 24). L’axe des implants a était planifié ainsi afin d’éviter une greffe osseuse supplémentaire. Ces prothèses ont été solidarisées car elles sont scellées au Temp Bond, caractéristique permettant une meilleure rétention de l’ensemble et surtout un meilleur support pour la contention orthodontique en palatin. L’intégration biomimétique de la prothèse, la préservation des papilles et l’alignement des collets participent au résultat esthétique de cette restauration (Fig. 25 à 30). (Prothèse réalisée par le Dr Richard Massihi en collaboration avec Mr Simon Mrad du laboratoire Oral arts)
Figures 24 à 30
Une équilibration occlusale en fin de traitement a été réalisée pour s'assurer l'harmonie de l'occlusion. Il est à noter que notre stratégie thérapeutique consistant à positionner 13 en place de 12 se traduit par un décalage de teinte avec la 22 lié à la saturation naturellement plus importante des canines par rapport aux incisives.
Dicussion
La résorption cervicale invasive est un processus pathologique difficile à diagnostiquer au début de son évolution. Son caractère asymptomatique rend sa prise en charge tardive. Le remplacement de la dentine par du tissu de granulation est avancé et entraine une destruction quasi complète de la dent. La littérature rapporte un taux de réussitedu traitement des ICR (résorptions cervicales invasives) de classe 4 de 12,5 %. Ainsi, son pronostic dissuade de toute approche interventionniste et suggère de surveiller l'évolution de la maladie jusqu'à ce que l'extraction de la dent devienne inévitable (6).
Une fois que la dent est jugée non conservable, il convient de l'exploiter pour un résultat optimal. Sa forme, ses dimensions, sa teinte, son axe et la qualité des tissus parodontaux à sa proximité sont évalués. En l'absence de parafonctions, les dents naturelles représentent un projet prothétique validé. Les photographies et les vidéos sont particulièrement souhaités pour une analyse esthétique rigoureuse.
Différentes stratégies thérapeutiques sont envisagées. Chez cette patiente, Nous avons opté pour le positionnement de 13 à la place de 12. Les différentes disciplines à laquelles nous avons fait appel sont :
- La parodontologie afin d'intervenir dans un milieu sain exempte de tartre, de poches parodontales et d'inflammation gingivale,
- L'orthodontie pré-implantaire pour assurer la réduction de l’espace prothétique disponible, la fermeture des diastèmes, la rectification du décalage initial pour recentrer le bloc antérieur et ne remplacer que 11 et 21, la mésialisation de la canine et enfin le rétablissement des points de contact sur l'ensemble de l'arcade,
- L'odontologie conservatrice à travers une légère coronoplastie de la canine lui donnant une allure et la fonction d'une incisive latérale
- La chirurgie implantaire qui passe par la préservation osseuse post extractionnelle suivie d'une pose de 2 implants dans le secteur antérieur,
- La prothèse pour rétablir le guide antérieur fonctionnel et protecteur. Les surfaces de guidage entrainent la prise en charge de mouvements mandibulaires sécurisés. Les deux couronnes ont été scellées en raison du choix de suivre l'axe osseux afin d'éviter une chirurgie de régénération plus lourde pour le patient.
Conclusion
La gestion d’une restauration implantaire antérieure nécessite parfois la collaboration de différentes spécialités pour aboutir à un projet prothétique fonctionnel et esthétique. La prise en charge multidisciplinaire garantie l'intégration prothétique dans un schéma occlusal viable.
L'orthodontie joue un rôle primoridial dans la mise en état des rapports dentaires. Cette étape précède la phase implantaire quand elle est nécessaire. Si nos patients réduisent l'orthodontie à l'alignement des dents, les praticiens, de leurs côtés, sont conscients que cet objectif est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. En effet, le rétablissement des points de contact et des courbes occlusales aboutit à l'établissement de la continuité de l'arcade et sa stabilité. Ce qui inscrit la prothèse supra-implantaire dans un environnement stable grâce à la triade: calage, centrage et guidage et intègre l'appareil manducateur dans un contexte fonctionnel harmonieux. Sur le plan esthétique, la suppression des diastèmes ôte au sourire un côté enfantin peu apprécié par les patients de sexe féminin.
Avec la révolution du numérique et la mise en place des outils digitaux dans les cabinets dentaires, l'orthodontie s'inscrit, à son tour, dans le concept des traitements complètement digitalisés. Les set up numériques se substituent alors au projet prothétique et guident l'ensemble des étapes de la réhabilitation du sourire. Ainsi, la chirurgie guidée implantaire est particulièrement simplifiée. La prothèse supra-implantaire peut, à son tour, être gérée par le workflow numérique. L'outil numérique assure aussi une excellente communication entre les différents acteurs : orthodontiste, implantologue, prosthodontiste et prothésiste dentaire.
Lectures conseillées
- Liebart M, Fouque-Deruelle C, Santini A, Dillier F, Monnet-Corti V, Glise J, et al. Smile Line and Periodontium Visibility. Periodontal Pract Today. 2004;1(1):17.
- Tjan AH, Miller GD, The JG. Some esthetic factors in a smile. J Prosthet Dent. janv 1984;51(1):24‑8.
- Heithersay, G. S. Clinical, radiologic, and histopathologic features of invasive cervical resorption. Quintessence international 30, no 1 (1999): 27‑37
- Bonnet F, Karouni M, Antoun H. Esthetic evaluation of periimplant soft tissue of immediate single-implant placement and provisionalization in the anterior maxilla. Int J Esthet Dent. 2018;13(3):378‑92.
- Papadopoulos MA. Orthodontic treatment of Class II malocclusion with miniscrew implants. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 1 nov 2008;134(5):604.e1-604.e16.
- Heithersay GS. Treatment of invasive cervical resorption: an analysis of results using topical application of trichloracetic acid, curettage, and restoration. QuintessenceInt 1999;30:96–110.