Édentement total & réhabilitation implanto-portée : Gestion d’une résorption osseuse maxillaire sévère. 15 mai 2021
Édentement total & réhabilitation implanto-portée : Gestion d’une résorption osseuse maxillaire sévère.
Auteurs : Wakim Marc, Massihi Richard, Antoun Hadi
Le traitement d’un édentement total par voie conventionnelle peut s’avérer complexe en raison des impératifs de la triade de Housset qui nous le rappelons sont la Sustentation, Rétention et Stabilisation. En effet, ce type de traitement peut s’heurter à certaines limites tant sur le plan du confort masticatoire que sur la stabilité. Cela nous amène à la perspective d’une thérapeutique implantaire pouvant s’avérer d’une grande aide en particulier pour ces patients en quête de solution fixe. Afin de mener à bien un traitement de cette nature, il est impératif de disposer en amont d’une prothèse amovible complète (PAC) traditionnelle qui soit stable,fonctionnelle et esthétique. Dans ce cas clinique, au travers de « La Lettre IFCIA », nous vous proposons de voir pas à pas un traitement pluridisciplinaire d’un cas de résorption maxillaire sévère associé à une aspergillose sinusienne (1).
Anamnèse, examen clinique & radiographique :
Mme B. âgée de 78 ans à la première consultation nous a été adressée afin de trouver une solution fixe à son édentement. Du point de vue de son état général, elle présente une insuffisance cardiaque traitée à l’aide d’anticoagulant oraux et béta-bloquant ainsi qu’une sinusite chronique gauche en raison d’un dépôt de produit endodontique dans le sinus gauche comme nous pouvons le constater sur le cliché panoramique ci dessous. L’examen extra oral révèle une répartition harmonieuse des étages de la face réhabilitée par une prothèse amovible complète maxillaire. De profil on peut noter que cette prothèse, n’assure pas un soutien de la lèvre adéquat étant en rétro-chéilie en raison de la résorption centripète du maxillaire.
Au niveau du sourire, on constate un sourire forcé ne découvrant pas considéré comme une Classe IV de Liébart (2), pointant une gène esthétique associée à une courbe incisive légèrement inversée.
L’examen intra-oral, nous montre une résorption de crête importante ainsi qu’un décalage des milieux inter-incisif entre la PAC et les incisives mandibulaires. Il est possible que le manque d’entretien au niveau de la PAC soit corrélé à la gène esthétique de la patiente.
L’examen radiographique comprenant des clichés panoramiques et CBCT confirme la résorption de crête ajouté à la suspicion d’une sinusite aspergillaire gauche qui devra être traitée par un médecin ORL.
Choix thérapeutique & Plan de Traitement :
Après un examen minutieux du dossier médical de la patiente, il a été décidé de recourir à un avis ORL afin de retirer le corps étranger du sinus contre-indiquant jusqu’à lors la pose d’implants : Une méatotomie moyenne a alors été réalisée par notre correspondant Dr Boris Petelle, Médecin ORL. En parallèle, un plan de traitement a donc été mis en place en accord avec la patiente dans le but de réhabiliter de façon pérenne le maxillaire, impliquant en amont la réfection de sa prothèse complète maxillaire selon des impératifs fonctionnels et esthétiques idéaux. Par la suite, une thérapeutique chirurgicale en deux temps a été proposée impliquant une greffe de sinus bilatérale (3) associée à une régénération osseuse guidée du bloc antérieur à l’aide d’une grille en titane (4), ainsi qu’une temporisation immédiate sans pression sur le site qui permettra à la patiente de pouvoir sortir de l’intervention avec des dents le temps de la cicatrisation. À 8 mois, c’est au tour de la chirurgie implantaire. Après une planification selon des impératifs prothétiques idéaux, la mise en place de 8 implants est réalisée à l’aide d’un guide chirurgical numérique. Ces implants ont été enfouis et 6 implants provisoires ont été placés afin de stabiliser la PAC provisoire transformant ainsi la prothèse à appuis muqueux en une prothèse supra implantaire de façon à ne pas solliciter les implants pendant leur ostéo-intégration. Une fois cette période d’ostéo-intégration achevée, une prothèse d’usage transvissée a été réalisée mimétiquement au bridge provisoire supra-implantaire.
PLAN DE TRAITEMENT : CHIRURGICAL & PROTHÉTIQUE (DURÉE TOTALE : 18 MOIS) :
Une fois le feu vert obtenu par notre confrère ORL ainsi qu’une thérapeutique parodontale initiale aboutie :
1. Traitement Prothétique (1/2) : Réfection de la PAC maxillaire
Selon le protocole clinique habituel :
- Empreinte primaire pour concevoir un porte empreinte individuel avec bourrelet d’occlusion,
- Empreinte secondaire à l’aide d’un Porte empreinte individuel,
- Réalisation d’un montage de dents sur cire reposant sur une base dure pour plus de stabilité, afin de confirmer le positionnement et le corriger au quel cas directement au fauteuil avec la patiente.
- Un dernier essayage en cire pour confirmer l’enregistrement est réalisé avant polymérisation de la PAC provisoire.
2. Traitement Chirurgical (1/2) : Greffe de sinus bilatéral + Régénération osseuse guidée en secteur antérieur
Une fois la PAC réalisée, équilibrée et fonctionnelle, la thérapeutique chirurgicale peut être mise en place. Pour cette patiente il a donc été décidé au vu des éléments cliniques et radiologiques à disposition de réaliser un soulevé de sinus bilatéral associé à une augmentation osseuse 3D pour le secteur antérieur. La première étape de cette chirurgie passe par le soulevé de sinus bilatéral pour permettre de poser des implants dans les secteurs postérieurs. Ces soulevés ont été réalisés sans augmentation de hauteur, mais uniquement par un soulevé de la membrane par l’intermédiaire d'une fenêtre osseuse latérale qui a été replacée en fin de comblement.
La seconde étape de la chirurgie consiste à réaliser une augmentation osseuse 3D au niveau du secteur antérieur à l’aide d’une grille en titane. Cette étape est anticipée en amont de l’intervention, à l’aide d’un modèle 3D qui a été imprimé (comme le montre l’image ci dessous) de façon à concevoir la grille en titane hors bouche.
Cette anticipation a pour but d’améliorer l’ergonomie de travail et réduire le temps de chirurgie, dont nous savons que plus ce temps est long plus le patient est susceptible de constater des suites post-opératoires. Cette grille sera ajustée en bouche, comblée par un mélange Bio-Oss (Geistlich) / Biobank afin d’éviter le prélèvement autogène qui aurait alourdi et rallongé encore plus l’intervention, avant d’être fixée puis recouverte de membranes de collagène (Creos, Nobel Biocare). L’avantage de la grille en titane, est de pouvoir en per-opératoire prévisualiser le gain osseux futur.
Enfin des sutures matelassiers et surjets passés ont été réalisées sur un lambeau relaxé et fermé sans tensions.
En fin d’intervention, la PAC de la patiente a été modifiée afin de ne plus être en contact avec la région antérieure reposant uniquement sur le joint postérieur. L’augmentation en antérieur étant importante, l’ensemble des parois vestibulaires de la PAC ont dû être supprimées en plus de la réduction en épaisseur. Un enregistrement au silicone light dans l’intrados prothétique est fait dans le but de repérer les zones compressives résiduelles où le matériau serait chassé. Ces zones en contact avec la zone greffée seront ainsi éliminées. Du fait de la finesse de certaines zones de l’intrados, il a été jugé nécessaire d’en détourer une partie derrière les incisives.
Perdant en surface d’appui, un rebasage à la résine acrylique rose au niveau des zones palatines et tubérositaires a été mené au fauteuil tout en éliminant les excès. Une pâte adhésive du type fixodent® dans le but d’assurer un meilleur maintien est positionnée au niveau du joint postérieur tout en revérifiant les zones de compressions. Des conseils alimentaires ont enfin été prodigués à la patiente impliquant une alimentation molle et précautionneuse pendant la période de cicatrisation.
3. Traitement Chirurgical (2/2) : Mise en place d’implants enfouis & implants provisoires rebasage de la PAC.
8 mois plus tard, période nécessaire à la régénération osseuse, la planification implantaire peut être réalisée à partir d’un nouveau cliché CBCT. Il a été convenu lors de la planification (DTX Studio, Nobel Biocare) de concevoir une prothèse fixe supra-implantaire allant de la 17 à la 27 reposant sur 8 implants comme le montre les images ci dessous. ( planification réalisée par Dr Paul Challita )
Par ailleurs, avec une telle augmentation souhaitée et dans l’optique d’améliorer le confort de la patiente, une seconde temporisation avec cette fois-ci un véritable vestibule est conçu. Cette nouvelle prothèse servira de duplicata au guide chirurgical et de référence pour le montage de la future prothèse fixe supra-implantaire. La chirurgie implantaire débute par le pointage des forets pilotes au travers du guide réalisé numériquement grâce au matching de la PAC dans laquelle des éléments radio-opaques ont été disposées et le CBCT lors de la planification illustré plus haut. Ces forages sont réalisés avant de lever le lambeau au travers de la gencive et de la grille comme le montre les photos ci dessus.
Les séquences de forages sont par la suite poursuivies à main levée selon les indications de la planification après dépose de la grille.
Afin d’éviter toute compression prématurées sur les 8 implants (Nobel Parallel CC, Nobel Biocare), ceux-ci ont été enfouis et 6 implants (Straumann) provisoires ont été disposés avec des appuis boules type « dalbo » de façon à stabiliser la PAC après son rebasage.
Comme lors de la chirurgie pré-implantaire, des retouches de la PAC provisoire doivent être réalisées après la chirurgie afin de rebaser l’intrados en regard des attachements provisoires, et de s’assurer de la non compression de celle-ci sur le site de régénération à l’aide de silicone light. Le jour du retrait des fils de sutures, la PAC est à nouveau retouchée. Le pan vestibulaire a ainsi été réduit, et l’ensemble des bords ont été adoucis.
4. Traitement Prothétique (2/2) : Prothèse d’usage supra-implantaire.
Une fois l’ostéo-intégration obtenue, c’est à dire 4 mois après la pose des implants, la prothèse d’usage peut être développée. Dans l’optique de gagner du temps et ainsi éviter à la patiente de se retrouver sans prothèse, l’ensemble des étapes de la mise en fonction à la temporisation ont été réalisée dans la même journée. Cela passe dans un premier temps par la mise en fonction des 8 implants avec des piliers MUA Xeal (Nobel Biocare) pour assurer une cicatrisation muqueuse autour des implants, programmée dans la matinée.
- La PAC est évidée pour ne pas empêcher son insertion et un enregistrement au silicone de l’intrados permet de la trépaner en regard des piliers.
- Les capuchons des piliers MUA sont ensuite déposés et des composants provisoires sont transvissés.
- Afin de connecter ces piliers à la PAC, un sablage de l’intrados de la prothèse ainsi que l’application d’une couche d’adhésif a permis de servir de liant à la résine bisacryl auto-polymérisable entre la PAC et les rainures des piliers provisoires. Ces piliers ont été obturés au préalable à l’aide de ruban de PTFE évitant ainsi toute infiltration de résine en regard des puits d’accès.
- Puis, à l’aide de silicone light injectable, les contours gingivaux péri-implantaires sont enregistrés. Enfin, un mordu de l’antagoniste permet d’enregistrer la relation inter-maxillaire. L’ensemble est transmis directement au laboratoire (Mr Stéphane Hurtado). Pour cette patiente cela a été envoyé à 12h au laboratoire qui a pu traiter et renvoyer le travail dans la journée et transmettre la provisoire transvisée quelques heures plus tard.
- A 17h, le laboratoire nous a transmis le bridge provisoire transvissée, permettant à la patiente de pouvoir repartir avec une solution fixe provisoire dans la journée.
- Quelques mois plus tard, temps nécessaire à l’adaptation de la nouvelle prothèse provisoire, le bridge définitif est élaboré. Cela passe par un essayage de la prothèse en cire de façon à corriger le positionnement dentaire ainsi que la forme de certaines dents comme le montre les photos ci-dessous.
- Enfin, le bridge supra-implantaire définitif est transvissé. Il a été décidé pour des raisons de sécurité et du fait d’un contexte de bruxisme chez la patiente de choisir dans un premier temps des dents en résine et non en céramique d’autant plus qu’une réhabilitation en céramique sur l’ensemble des dents est présente à la mandibule. Ces dents seront changées ultérieurement lors des séances de suivis si la situation le permet.
Pour conclure, la gestion d’un édentement complet présentant une résorption sévère n’est pas un cas facile à traiter au premier abord. Néanmoins, c’est en posant un diagnostic précis pour chaque situation qu’il est possible de proposer des thérapeutiques personnalisées et viables à nos patients. C’est notamment grâce aux augmentations osseuses, à l’apport du numérique et d’une communication précise avec nos prothésistes qu’il est possible de leurs concevoir des solutions pérennes.
Lecture conseillée :
1. Delbet C, Barthélémy I, Teitelbaum J, Devoize L. Mycoses aspergillaires des sinus maxillaires. janv 2011;10.
2. Liébart M-F, Fouque-Deruelle C, Santini A, Dillier F-L, Monnet-Corti V, Glise J-M, et al. Smile Line and Periodontium Visibility. 2004;1(1):9.
3. Antoun H. Les greffes de sinus en implantologie, éditions CdP, 2020.
4. Grunder U. Implantologie de la zone esthétique. Quint Pub, Paris, 2017. Page sur 17 18 Page sur 18 18