Chirurgie guidée par "flapless" et mise en charge immédiate au Maxillaire et la Mandibule postérieur 26 février 2019
Chirurgie guidée par "flapless" et mise en charge immédiate simultanée au Maxillaire et à la Mandibule postérieurs
Introduction:
Le paradigme de l’implantologie restreinte à l’anatomie osseuse et l’approche chirurgicale exclusive a évolué vers une implantologie guidée prenant en compte les données prothétiques nécessaires à la réussite du projet implantaire.
En 1993, les logiciels de simulation des traitements implantaires ont vu le jour. Leur introduction dans l’étude d’une réhabilitation orale à l’aide d’implants a permis la prévisualisation de la position et de la répartition chirurgicales de ces éléments en associant les données anatomiques disponibles et le projet prothétique final.
Dans le cas clinique choisi pour ce numéro de la « lettre de l’IFCIA » nous décrivons le déroulement d’une mise en charge immédiate dans les secteurs maxillaires et mandibulaires postérieurs en réalisant une étude préalable du projet avec le logiciel NobelClinician™. Cette démarche a permis non seulement la planification de la phase chirurgicale et la mise en place des implants par l'approche "flapless" mais aussi la préparation des prothèses immédiates en amont de cette dernière.
Anamnèse :
Il s’agit d’un confrère de 70 ans venu au cabinet de lui même pour le remplaçant des dents absentes.
Le patient est non fumeur. Il présente une hypertension stabilisée par des bêtabloquants.
Examen clinique:
À l’examen exobuccal, l’ouverture buccale est régulière et rectiligne, la ligne du sourire est basse.
Le patient ne découvre pas les collets lors du sourire forcé.
A l’examen endobuccal, au niveau de l’arcade mandibulaire, on observe un édentement de Classe 1 de Keneddy-Appelgate. Au maxillaire, on repère plusieurs dents présentant des caries volumineuses et des fractures coronoradiculaires rendant leur pronostic défavorable.
L’analyse occlusale statique et dynamique révèle une absence de coïncidence des milieux interincsifs, un guide incisif fonctionnel, une égression des 16 et 24 et une absence de calage postérieur.
Au niveau parodontal, nous sommes en présence d’un biotype gingival relativement épais.
Le relevé topographique des poches révèle un indice de plaque de 50% et un indice de saignement de 15%. (fig. 1a,b,c)
Figure 1 a, b et c : La fonction masticatrice est affectée. Une réhabilitation totale est nécessaire. La présence des dents et des racines résiduelles a retardé les résorptions alvéolaires ; les volumes osseux utiles pour des restaurations implantaires sont ainsi conservés. Les espaces interarcades sont suffisants pour la réalisation de reconstructions prothétiques implantaires transvissées sur piliers.
Examen radiologique:
L’examen de la radiographie panoramique montre des délabrements dentaires multiples, des racines résiduelles, des traitements endodontiques inadéquats et des restaurations défectueuses.
Le niveau osseux ne semble pas particulièrement atteint. (fig. 2)
Figure 2 : Malgré la pneumatisation du sinus gauche, le volume osseux résiduel confirmé par le CBCT semble suffisant pour la mise en place de deux implants courts. A la mandibule la trame osseuse est dense. Les condyles sont volumineux respectant un espace minimal pour le disque articulaire.
Diagnostic:
Nous sommes en présence d’un patient hypertendu stabilisé par des bêtabloquants, Classe 2 ( ASA).
Il présente un édentement mandibulaire postérieur bilatéral. Au maxillaire, il existe de nombreuses dents délabrées et fracturées à pronostics réservés.
La perte dentaire d’origine carieuse, non compensée, a abouti à une surcharge occlusale au niveau des dents résiduelles ; ceci peut expliquer leur délabrement.
Choix thérapeutique:
Deux options thérapeutiques sont proposées au patient:
A - La réhabilitation par la prothèse adjointe,
B - La réhabilitation par des prothèses fixées sur des implants.
La deuxième proposition est retenue par le patient au vu des avantages qu’elle présente comparativement à la prothèse amovible.
Plan de traitement:
Le plan de traitement comprend:
- Une phase initiale de préparation parodontale.
- La reprise des soins et traitements endodontiques sur certaines dents.
- La réalisation d’un bridge dento-porté sur la 23 et la 25 avec la 24 en intermédiaire de bridge.
- Une phase chirurgicale comprenant les extractions des dents non conservables dans un premier temps. Dans un deuxième temps, la réalisation du guide radiologique et chirurgical à partir de la simulation informatique et la mise en place des implants et des bridges transitoires immédiats.
- Réalisation des prothèses d’usage.
- Un suivi et une maintenance implantaire.
Temps chirurgical:
A – Les extractions dentaires:
Des extractions minutieuses des dents délabrées les 13, 14, 15, 24, 44 et 45 sont entreprises. La 17 égressée n’est pas conservée pour des raisons prothétiques. (fig.3a et b).
Figure 3 a et b: Des greffons épithélio-conjonctifs sont prélevés au niveau des tubérosités et suturés au niveau des alvéoles. Ils permettent de stabiliser le caillot sanguin et d’améliorer la qualité et le volume gingival.
B – L’élaboration du guide d’imagerie:
Pour cette étape nous utilisons le logiciel NobelClinician™ qui permet de planifier les chirurgies guidées et de réaliser à partir de cette planification les prothèses transitoires à insertions immédiates. Les représentations virtuelles de la position des implants, des piliers et des futures prothèses issus de l’étude 3D virtuelle, serviront pour l’exécution des phases chirurgicale et prothétique.
Une fois le projet validé par le praticien et le patient, le guide radiologique est réalisé au laboratoire. (fig.4 a et b).
Figure 4 a et b : 3 mois après les extractions dentaires des empreintes sont prises pour la réalisation des cires de diagnostic sur les modèles en plâtre. L’ensemble est monté en articulateur semi-adaptable.
C – L’étape radiologique :
Deux scanners seront réalisés sur le même appareil : un premier scanner avec les guides radiologiques en bouche (fig.5), et un deuxième avec les guides radiologiques seuls.
Les images obtenues par cette technique de double scannage sont ensuite fusionnées grâce aux repères radio-opaques crées dans ces guides.
Figure 5 : Guides radiologiques; les bords occlusaux des dents existantes sont recouverts de résine acrylique ; la création de fenêtres occlusales permet de contrôler le bon positionnement des guides lors de l’acquisition des données radiologiques. Les dents issues du projet prothétique sont reproduites sur la plaque de base. La plaque est prolongée en vestibulaire et en lingual et palatin afin d’obtenir la plus grande stabilité.
Sur le plan technique, le patient passe le premier scanner avec le guide radiologique. L’utilisation d’index occlusal permet un positionnement stable et correct du guide. Cet index est conservé après les scanners, il servira pour les futures étapes de laboratoire. L’indicateur laser vertical du scanner doit être positionné sur les incisives centrales du patient. Le repère horizontal sera parallèle au plan d’occlusion afin de diminuer les déformations et les artéfacts. Le second scanner concerne seulement les guides radiologiques. Il doivent être maintenus avec un ruban adhésif sur un support non radio-opaque dans la même position que le cliché en bouche. L’indicateur laser du scanner sera de nouveau positionné au niveau inter-incisif dans le plan vertical, et parallèle au plan d’occlusion dans le plan horizontal. Le scanner doit garder les mêmes paramètres pour les deux clichés.
Après cette étape d’acquisitions d’imageries, la planification peut être effectuée avec le logiciel NobelClinician®. Un contrôle de l’ensemble implants et vis d’ancrages sous plusieurs angles toujours avec ce même logiciel avant la validation de la planification pour la création du guide chirurgical est nécessaire. Ce même guide chirurgicale servira à la réalisation des prothèses provisoires en amont de l'intervention chirurgicale (fig.6 a à h).
Figure 6 a à g : Les coupes scanner réalisées après le positionnement des guides chirurgicaux en bouche
Figure 6 h : Les deux scanners sont fusionnés grâce aux repères de gutta afin d'obtenir la simulation d'un positionnement idéal des implants (cliquer sur la photo pour accéder à la vidéo de simulation)
Figure 6 i à q : Les guides chirurgicaux réalisés par stéréolithographie et issus de la planification vont servir à la réalisation des prothèses provisoires préalablement à la pose des implants. Les modèles en plâtre réalisés en amont sont ajourés, les guides chirurgicaux positionnés et les répliques d'implants connectés. L'ensemble est monté sur articulateur pour la réalisation des prothèses provisoires vissées directement sur les implants (Laboratoire Jean Marc Etienne, Oral Design, Nancy).
D – La mise en place des implants:
La mise en place des implants au niveau de la 13, 15, 16, 26, 27, 34, 35,36, 44, 45, 46 est effectuée en une seule séance :
- 13 et 14 Nobel Speedy RP 4 x 13 mm,
- 16 Nobel Speedy WP 5 x 11.5 mm,
- 26 Nobel Speedy WP 5 x 10 mm,
- 27 Nobel Speedy WP 5 x 7 mm,
- 34 et 35 Branemark System MK3 Groovy RP 4 x 11.5 mm,
- 36 Branemark System MK3 Groovy WP 5 x 11.5 mm,
- 44 et 45 Branemark System MK3 Groovy RP 4 x 13 mm,
- 46 Branemark System MK3 Groovy WP 5 x 13 mm.
Tous les implants sont insérés en technique chirurgicale sans lambeaux ‘’Flapless’’. Cette technique présente de nombreux avantage notamment la restitution rapide de la fonction, de l’esthétique ainsi que des suites opératoires minorées.
Elle est possible grâce à la conjonction de la planification informatique et à la présence de conditions cliniques favorables. (fig.7a,b,c,d,e,f).
Figure 7 a à f : Afin de minimiser les sources d’erreurs des clavettes horizontales permettent de fixer les guides et éviter leurs basculements durant la phase chirurgicale. Au retrait des guides on observe des effractions chirurgicales minimales et des saignements très légers. La répartition des implants issue de l’étude préimplantaire permet un positionnement dans les couloirs prothétiques avec des distances facilitant la mise en place d’une procédure d’hygiène quotidienne efficace. Il est important d’avoir une ouverture buccale ample pour assurer le passage des instruments chirurgicaux dans cette technique.
E – La mise en place des prothèses provisoires immédiates:
L’obtention d’une stabilité primaire suffisante a permis la mise en place immédiate des bridges provisoires en occlusion (fig.8 a à c).
Des recommandations strictes sont données au patient pour éviter des aliments durs pendant une période de 6 semaines.
Figure 8 a et c : La mise en place immédiate des prothèses de transition en occlusion avec des tables occlusales à pentes cuspidiennes faibles élimine tout guidage en latéralité. Des piliers spécifiques expansifs permettant un léger jeu pour faciliter l’insertion des prothèses transvissées dans les implants sont utilisés. Noter l'émergence des implants au centre de la face occlusale, la planification implantaire a permis un positionnement optimal entre le volume osseux disponible et le projet prothétique (Prothèse, Dr Pierre Cherfane).
Prothèses définitives:
A 6 mois de l’intervention les prothèses provisoires sont déposées, la cicatrisation muqueuse et l’ostéointegration sont vérifiées. La réalisation des prothèses d’usage est alors entreprise (fig. 9 à f).
Figure 9 a à d: A la dépose des prothèses de transition, on observe des émergences gingivo-prothétiques bien dessinées facilitant l‘intégration gingivale des prothèses d’usage. On peut noter aussi une quantité ainsi qu'une qualité adéquate de gencive kératinisée tant au maxillaire qu'à la mandibule. Le choix de prothèses scellées sur piliers individuels en titane est retenu. La réhabilitation totale dentaire et implantaire terminée, le patient retrouve les fonctions masticatrice phonétique et esthétique souhaitées (Prothèse, Dr Philippe Sarfati).
Suivi:
Des séances de suivi parodontal sont fixées à raison de deux visites par an les 2 premières années puis une fois par an.
Au court de ces séances une actualisation du dossier médical du patient est effectuée, une réévaluation de l’efficacité du contrôle de plaque et un détartrage complet supra et sous gingival sont effectués. Il est suivi d’un polissage.
Une radiographie panoramique est pratiquée tous les ans pour vérifier la stabilité osseuse autour des implants. (fig.10 a)
Le bilan long cône montre une stabilité du niveau osseux péri-implantaire à 10 ans de la pose des implants (fig.10 b)
Figure 10 a et b : Le contrôle radiologique à 10 ans montre une stabilité du niveau osseux très satisfaisante. Il sera réalisé une fois par an dans ce cas complexe. Il permettra d'associer à l’examen clinique un suivi longitudinal de cette réhabilitation.
Discussion:
La chirurgie sans lambeau est une technique séduisante, elle a de nombreux avantages. C’est une chirurgie respectueuse du périoste et du parodonte. Elle présente un risque hémorragique réduit et une moindre résorption osseuse.
Le confort per et post-opératoire du patient est supérieur à la technique conventionnelle grâce à une diminution du temps chirurgical, de la douleur et de l’anxiété.
Cependant, de part son principe de technique chirurgicale effectuée à l’aveugle, elle comporte des risques. Ainsi le recours à la chirurgie guidée pour son exécution est fortement recommandé.
A l’ère du développement du numérique en odontologie, la combinaison de l’imagerie 3D et de logiciels de planification permet de faire des études préliminaires précieuses en visualisant en outre la faisabilité prothétique des plans de traitement implantaire. Plusieurs solutions sont proposées par les industriels pour le transfert de ces planifications en bouche.
On dénombre pour l’instant deux grandes familles de chirurgie guidée: la chirurgie statique assistée par ordinateur à l’aide de guides chirurgicaux comme la technique décrite dans ce cas clinique et la chirurgie dynamique, aussi assistée par ordinateur, développée plus récemment.
La statique est synonyme d’un positionnement de l’implant prédéterminé sans visualisation en temps réel du site de préparation de l’implant au cours de la chirurgie. Aucun changement ne peut être effectué avec ce système ; tandis qu’en chirurgie dynamique, les écarts par rapport à la planification prédéterminée peuvent être observés et ajustés en temps réel.
Cette navigation dynamique, séduisante par son principe, de développement plus récent, peut combiner la précision obtenue avec les guides statiques et une amélioration significative par rapport à la mise en place d’implants à main levée. Pour la maîtriser, une courbe d'apprentissage est nécessaire avant d’atteindre une grande efficacité. Pour l'instant, la réalisation de prothèses provisoires en amont n'est pas possible avec cette approche.
En chirurgie implantaire guidée statique des déviations entre la position prévue et la position réelle de l’implant peuvent se présenter. Afin de les minimiser, il est important de contrôler un certain nombre de facteurs qui peuvent être sources d’inexactitudes. On en cite les problèmes de résolution spatiale en tomodensitométrie, les erreurs dans la fabrication des guides, la stabilité inadéquate du guide chirurgical, les erreurs de forage, ainsi que d'autres facteurs comme l'épaisseur des tissus mous et le type de logiciel utilisé.
Toutefois, indépendamment de la technique choisie, le recours de nos jours à la chirurgie implantaire guidée permet : la réalisation d’actes peu invasifs, la reproductibilité de nos interventions et la précision de nos gestes.
Conclusion:
L’évolution des outils informatiques, leur fiabilité, leur miniaturisation, la réduction du coût et leur facilité d’utilisation seront des prérequis nécessaires à leur démocratisation dans les cabinets dentaires. La chirurgie guidée fait partie de cette chaine numérique qui commence lors du premier rendez-vous du patient et qui se termine le jour de la pose de la restauration définitive.
A travers ce cas clinique on note l’importance de cette approche qui a permis de placer les implants dans des postions idéales avec la mise en place de prothèses provisoires, préalablement préparées et immédiatement insérées après l’acte chirurgical exécuté sans élévation de lambeau.
Cette mise en charge immediate, outre le confort considérable fonctionnel et psychologique ressenti par le patient, rejoint dans son esprit la capacité de l’adaptation de notre profession à un monde technologique en permanente évolution et révolution pour la réalisation de traitements modernes et qualitatifs.
Cette réhabilitation globale en est le reflet. Elle permet de voir comment appréhender ce type de traitement relativement complexe en toute sécurité.
https://medias.ifcia-antoun.com/publications/149/content/jcm-08-00054.pdf
Mots clés:
Chirurgie guidée statique, Chirurgie guidée dynamique, Implants dentaires, Technique Flapless, Dentisterie implantaire assistée par ordinateur, Prothèse immédiate, Réhabilitation orale.
Lectures conseillées:
[1] Wismeijer D, Joda T, Flügge T, et al. Group 5 ITI Consensus Report: Digital technologies. Clin Oral Impl Res. 2018;29(Suppl. 16):436–442.
[2] Joda T, Derksen W, Wittneben JG, Kuehl S. Static computer-aided implant surgery (s-CAIS) analysing patient-reported outcome measures (PROMs), economics and surgical complications: A systematic review. Clin Oral Implants Res. 2018 Oct; 29 Suppl 16:359-373.
[3] Pyo SW1, Lim YJ2, Koo KT3, Lee J4. Methods Used to Assess the 3D Accuracy of Dental Implant Positions in Computer-Guided Implant Placement: A Review. J Clin Med. 2019 Jan 7;8(1).
[4] Martelli N, Serrano C, Van Den Brink H, Pineau J, Prognon P, Borget i, et al. Advantages and disadvantages of 3-dimensional printing in surgery: A systematic review. Surgery. 2016 Jun;159(6):1485-1500.
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