La restauration multidisciplinaire d'un sourire, quel challenge ! 29 mai 2018
La restauration multidisciplinaire d'un sourire, quel challenge !
Introduction
Le traitement implanto-prothétique du secteur antérieur est cliniquement délicat pour le chirurgien-dentiste. Cette situation est d’autant plus complexe à mener que le site présente des modifications d’ordres anatomiques, infectieuses ou tout simplement un sourire à restaurer.
L’extraction, implantation et la mise en esthétique immédiates au niveau du secteur antérieur est un traitement courant quand il est prescrit. Même si le recul clinique est aujourd’hui important, cette thérapeutique faisant appel à la combinaison de plusieurs disciplines en odontologie, requiert au préalable une observation aigue et une analyse détaillée du ou des sites à traiter. Nombreuses sont les classifications qui nous orientent dans le choix de thérapeutiques adaptées.
Dans la publication de ce cas clinique dont l’objectif est la relance d’un sourire franc et spontané, nous ferons appel à l’implantologie, à la parodontologie et à la restauration prothétique fixe afin d’atteindre le but recherché. L’extraction et l’implantation différée, la régénération du déficit osseux, les greffes de tissus conjonctifs, les restaurations prothétiques transitoires et définitives font partie du protocole établi afin de répondre à la demande esthétique de cette jeune patiente.
L'examen clinique
Madame L.M 29 ans en bon état de santé générale et qui ne fume pas, est adressée par un confrère pour l’extraction de la 21, dent légèrement mobile avec une fistule distale. La patiente consciente de l’aspect inesthétique des restaurations incisives et la visibilité des récessions gingivales, modifie la spontanéité de son sourire. A la consultation, elle insiste sur un rendu esthétique final agréable.
A l’examen exobuccal, on observe une répartition harmonieuse des étages de la face, des ATMs asymptomatiques, une DVO bien tolérée et une occlusion stable et reproductible. On remarque la présence d’un angiôme au niveau de la partie droite de la lèvre inférieure auquel la patiente s’est accoutumée. (Fig.1)
Figure 1 : Le sourire naturel de la patiente est large. Il découvre les papilles, quelques collets, et les dents jusqu’aux premières molaires. Le défi esthétique est élevé.
La visibilité des liserés des joints des couronnes céramo-métalliques au niveau des 11 et 21 est disgracieuse.
A l’examen endobuccal, l’hygiène orale est satisfaisante. L’indice de plaque est faible et avoisine les 10%.
Le biotype parodontal est fin dans le secteur incisivo-canin. Il existe un léger décalage du niveau des collets de la 11 et 21. Des récessions gingivales sur le bloc incisivo-canin maxillaire sont visibles (Fig. 2 a et b). Se référant à la classification de BELSER, le Pink Esthetic Score est de 7/10.
Figure 2 a et b : Le liseré grisâtre des couronnes de la 11 et la 21 est disgracieux. Des récessions de classe 1 de Miller sont présentes au niveau de la 13, 12, 22 et 23. On constate une fistule en distale de la 21.
Les examens complémentaires
Trois radiographies préopératoires sont réalisées, une radiographie panoramique pour une analyse globale du contexte osseux et dentaire, une radiographie rétroalvéolaire afin de détailler le site lésé (Fig. 3a et b) et un CBCT qui nous informe sur la résorption osseuse vestibulaire et la quantité d’os résiduel (Fig. 4).
Figure 3 a et b : On observe une fracture horizontale localisée à mi-hauteur de la racine avec une migration apicale du fragment radiculaire. Le reste de la denture de la patiente semble en bon état.
Figure 4 : Sur la coupe coronale du CBCT, le volume osseux disponible est de 8,7x17,7mm. Il est suffisant pour poser un implant d'une taille adéquate. On note une table osseuse vestibulaire très fine et partiellement résorbée en disto-vestibulaire.
Le choix thérapeutique
Riches de ces données, il nous revient de restaurer et reconstruire en accord avec la patiente les tissus accidentés. On s’oriente vers l’extraction de la 21 et son remplacement par une restauration fixe implanto-portée. Une régénération osseuse guidée différée du temps de l'extraction suivie d'une greffe de conjonctif enfoui suivront pour recréer le volume osseux et renforcer le tissu muqueux.
Pour traiter les récessions des dents adjacentes des lambeaux repositionnés coronairement apportent une solution avec une faible incidence chromatique.
La réfection de la prothèse fixe sur la dent numéro 11 est envisagée. Elle contribuera à l’harmonisation des collets et à embellir le sourire de la patiente.
Les étapes chirurgicales
Etape 1 :
L' extraction de la 21 se fait minutieusement afin de préserver le capital osseux restant. La partie cervicale est détachée en premier suivie de la partie apicale. Le site est cureté, avivé à l'aide d'une fraise boule diamantée et irrigué à la Bétadine (Fig. 5).
Deux mois après l'extraction de le dent, temps nécessaire pour la cicatrisation des tissus mous, une incision crestale puis intrasulculaire mésiale et distale sont initiées. Elles sont complétées par une décharge en distale de la 23. Deux lambeaux de pleine épaisseur vestibulaire et palatin sont levés. Ils permettent une meilleure lecture du site et l’évaluation des destructions osseuses générées par la fracture.
Figure 5 : Le tissu granulomateux occupant l’espace au niveau de la fracture est entièrement retiré.
Toute les précautions peropératoires sont prises afin de préserver la corticale osseuse résiduelle en vestibulaire. Un implant Nobel Active® (Nobel Biocare) RP 4.3*15mm est fixé en s’appuyant sur la paroi palatine afin de lui donner une position idéale pour une restauration prothétique fixe transvissée. Le dessin de cet implant favorise une stabilité initiale élevée et facilite la gestion de l’esthétique finale. Cette morphologie implantaire à connexion cônique et hexagonale interne répond au mieux à la création d'un environnement stable et étanche. La stabilité primaire obtenue avoisine les 35N.cm.
Les cratères osseux péri-implantaires localisés essentiellement en vestibulaire et en disto-palatin sont comblés par de l’os autogène prélevé à l'aide d'un racleur à os au niveau de l'épine nasale. Il est associé à du Bio-Oss® (Geistlich). L' ensemble est recouvert d'une membrane Bio-Gide® (Geistlich) fixée à l’aide de 2 clous en vestibulaire et en palatin. Enfin, des sutures en Gore-Tex® 5/0 et monofilament polysorb® 6/0 (IPP Pharma) permettent de rapprocher les berges de la plaie. L' implant est ainsi enfoui avec une vis de couverture pour une période de 6 mois (Fig. 6 a à f).
Figure 6 a à f : Le site est entièrement assaini. La création de plusieurs perforations sur la table vestibulaire, bien que non indispensables, assure une meilleure irrigation sanguine du site. L’intégrité des septas osseux est importante pour le soutien papillaire final. La mélange os autogène prélevé à l'aide d'un racleur mélangé à du Bio-Oss® est recouvert d'une membrane Bio-Gide® tendue et fixée à l'aide de 3 clous.
Etape 2 :
A l’issue de cette période, la mise en fonction est entreprise.
Le dégagement du site en vestibulaire avec un déplacement apical du bandeau de gencive kératinisée permet de quantifier la réussite de la régénération osseuse guidée. Toutes les spires initialement exposées sont recouvertes d'os néoformé aussi bien en vestibulaire qu'en palatin, mais le contour osseux vestibulaire idéal n'est pas atteint. L 'affaissement inéluctable des membranes résorbables dû à la pression des tissus mous pendant la phase de cicatrisation en est responsable. (Fig. 7a et b).
Figure 7a et b : Le gain osseux s’est fait dans le sens de l’épaisseur et de la hauteur. L' implant posé au niveau de ce site est cliniquement bien intégré.
Le stade de la régénération osseuse terminé, afin d’améliorer le contexte muqueux et compenser le galbé vestibulaire manquant, une greffe conjonctive est réalisée au niveau du site 21. Un composant provisoire est connecté directement sur l’implant et serré manuellement, (Fig. 8a à f), puis une couronne provisoire immédiate est confectionnée, ajustée, et serrée à 35N/cm.
Figure 8a à f : Le greffon conjonctif enfoui est prélevé au niveau du palais gauche suite à une incision unique puis suturé dans l’intrados du lambeau vestibulaire. Il optimisera le résultat esthétique final. Le composant provisoire posé simultanément permet la réalisation d’une couronne provisoire transvissée sur l’implant conjointement à la greffe.
Outre le confort esthétique et psychologique assurés à la patiente, la couronne provisoire par la combinaison des concavités et convexités cervicales, sert de guide au modelage du berceau gingival pour un résultat esthétique final convenable (Fig. 9).
Figure 9 : La photographie post opératoire montre l’intégration parfaite de cette couronne provisoire grâce à son anatomie soignée et à son état de surface lisse.
Etape 3 :
Afin d’améliorer le décalage des collets et de recouvrir les récessions initialement observées, des lambeaux repositionnés coronairement au niveau des dents 12, 13, 14 et 22 sont effectués (Fig. 10a et b).
Figure 10 : Les lambeaux à repositionnement coronaire permettent le recouvrement des récessions en créant une continuité horizontale de la bande de gencive kératinisée. Ils sont passifs et fixés par un jeu de sutures de matelassiers et des points en O avec un fil monofilament polypropylène 6/0 (Surgipro®, IPP Pharma). La technique du Tunnel (1) est retenue sur 12, 13 et 14 puis celle de Zuchelli et De Sanctis (2) sur la 22.
Les étapes prothétiques
Un délai de quatre mois est observé à l’issue duquel le rendu esthétique est amélioré. Les tissus parodontaux sont renforcés, les collets sont alignés et les récessions sont recouvertes à 100%. La prothèse transitoire implanto-portée, par sa morphologie soignée guide la maturation des tissus mous et améliore le Pink Esthetic Score de Belser. Le dessin du profil d’émergence est satisfaisant sur le plan esthétique.
Ainsi au bout de la période d’observation pour l’obtention de la stabilité des tissus, la phase prothétique définitive peut être entreprise.
Le site d’émergence de la prothèse implanto-portée en 21 est reproduit le plus fidèlement possible en utilisant l'enregistrement de la zone cervicale de la prothèse de transition par la méthode indirecte. Cette approche permet la transmission exacte de la morphologie du profil d’émergence gingival. (Fig.11a à e)
Figure 11a à e : L’ utilisation d’un silicone de consistance putty permet l’enregistrement exacte de la forme cervicale de la dent de transition. L’ émergence légèrement lingualée de l’implant au niveau du cingulum permet la réalisation d’une prothèse fixe finale vissée sans surcontour palatin. L’ ensemble transfert-résine (Duralay®) est mis en bouche pour l’empreinte finale qui englobe aussi la préparation de la dent numéro 11.
La couronne d’usage avec un pilier en zircone fixé sur une Ti Base est fabriquée, contrôlée et validée. La poudre céramique utilisée est une céramique métallique à haute fusion. Elle se caractérise par des propriétés optiques et physiques uniques (Création® - Willy GELLER). Elle est transvissée et serrée à 35N/cm (Fig. 12a à g).
Figure 12 a à g : La prothèse d’usage est parfaitement intégrée. Les tissus marginaux sont matures et stables après 6 ans de recul. Un manchon de tissus kératinisé entoure la 21. Les collets sont harmonieux. Un contrôle radiographique annuel est nécessaire afin de valider la stabilité osseuse dans le temps (Prothèse : Dr. R. MASSIHI, Laboratoire : ORAL ART).
Ainsi pour aboutir à un résultat satisfaisant, l’association des disciplines prothétiques, parodontales et implantaires a permis d’améliorer le sourire de la patiente
La discussion
Dans ce cas clinique où le traitement implantaire est retenu, nous avons choisi de dissocier les étapes osseuses et gingivales. Le traitement est réalisé en deux temps. Le premier pour l’extraction implantation différée et régénération osseuse, et le second, pour la mise en fonction (3). Lors de ce deuxième temps une greffe conjonctive associée à la mise en place d’une couronne provisoire sont réalisées.
Pour Gora, Benic et coll. (2014) (4) qui, à travers dix essais cliniques contrôlés randomisés, comparent la mise en esthétique immédiate et la mise en charge conventionnelle en site unitaire. Ils observent qu’il n’a y a pas de différences significatives entre les deux procédés en terme de survie de l’implant et du niveau de la perte d’os marginal à 2, 3 et 5 ans de mise en fonction. La majorité des études incluent des implants insérés avec un torque minimal de 20 à 45 Ncm et un minimum d’ISQ de 60 à 65.
Par ailleurs, la position de l’implant dans le secteur antérieur est un paramètre important à soulever. Elle impacte directement la réponse et la stabilité des tissus mous péri-implantaires (5). Bengazi (1996) (6) et Jemt (2006) (7), ont montré que la mise en fonction de l’implant par la prothèse supra-implantaire est souvent à l’origine d’un remaniement des tissus mous péri-implantaires se caractérisant par une légère récession de l’ordre de 0.5mm et par une augmentation du volume des papilles interdentaires.
D'autre part, dans une revue systématique, Lin et coll (2013) (8) concluent qu’un manque de tissu kératinisé est associé à une plus grande accumulation de plaque, une inflammation muqueuse importante et un nombre de récessions muqueuses plus élevé. Ainsi plusieurs protocoles d’aménagements muqueux péri-implantaires sont proposés lors des phases du traitement implantaire. Une analyse raisonnée et bien structurée est indispensable pour le choix de la technique. Malgré le peu d’étude sur ce sujet nous permettant d’orienter notre choix, plusieurs conclusions peuvent être retenues (9, 10) :
- La technique sans lambeau diminue l’inconfort du patient. On y retrouve la technique du tunnel,
- La greffe de conjonctif enfoui est la technique de choix pour augmenter le volume des tissus mous et le rendu esthétique,
- La greffe épithélio-conjonctif est efficace en terme de gain de tissus kératinisé mais doit être réservée aux secteurs non concernés par l’esthétique.
Quant à la réalisation prothétique, une attention particulière doit être observée à la conception de la dent de transition. Le profil d’émergence de la dent prothétique, le type de connexion prothèse-implant, le profil des piliers ainsi que les vissages/dévissages répétés ont une influence sur la morphologie et la stabilité des tissus péri-implantaires.
La reconstitution prothétique doit de ce fait, permettre la création d’un espace biologique et faciliter les manœuvres d’hygiène orale et de maintenance (11).
La conclusion
Loin d'être pathétique, ce singulier projet dans son ampleur et son envergure, ambitionne la relance d'un sourire contrôlé, indigent, en un sourire spontané, immaculé, en harmonie avec le caractère de la patiente. Notre but est la modification de ce sourire, notre objectif, la restauration de ses composants, nos moyens, les techniques éprouvées des nombreuses disciplines de notre art. Chirurgie, implantologie, parodontologie et prothèse se sont succédées sans économie de temps, avec une infaillible précision pour satisfaire les exigences esthétiques de la patiente. Il convient d'emprunter à chacune de ces matières des techniques fiables, innovantes et rigoureusement exécutées pour la réussite du projet. Cette stratégie est payante, elle rendra notre patiente une aristocrate du sourire.
L’ utilisation de l’approche de l’extraction implantation différée associée à une ROG est une technique considérée aujourd’hui de fiable. Elle a rendu possible à l’aboutissement de ce projet grâce à une meilleure compréhension de la biologie osseuse, de la cicatrisation parodontale, associées à l’expérience des opérateurs. Néanmoins, il convient de garder à l’esprit que le challenge est élevé en zone esthétique et le risque d’échec immédiat, à court ou moyen terme reste présent.
Le suivi post-opératoire régulier doit être instauré avec une fréquence d’une fois par an afin de détecter au plus vite toute évolution suspecte et/ou complications qui peuvent subvenir et y remédier.
Mots clés :
Extraction implantation différée, secteur antérieur, régénération osseuse guidée, Pink Esthetic Score, récréation du sourire, greffe conjonctive, lambeau déplacé coronairement, prothèse provisoire.
La bibliographie
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