Extraction implantation et temporisation immédiates à la mandibule 8 décembre 2014
Le cas clinique
Anamnèse
Une femme de 54 ans est adressée pour une réhabilitation implanto-portée complète à la mandibule. La patiente ne présente aucune contre-indication à un traitement implantaire.
La patiente a bénéficié d’une prothèse partielle à châssis métallique qu’elle porte rarement à cause de la gêne occasionnée essentiellement à la mastication. Les dents mandibulaires sont à l’origine d’abcès répétitifs soignés régulièrement par antibiothérapie. Des perforations radiculaires sur certaines dents, des canaux calcifiés sur d’autres et l’échec d’une reprise de traitement endodontique sont autant d'indications à leur extraction.
Figs 1a et 1b : La patiente présente un décalage de la hauteur osseuse entre la zone symphysaire et les zones postérieures. Les dents antérieures résiduelles ne peuvent être conservées à cause de complications endodontiques et carieuses passées.
Examen radiologique
La radiographie panoramique montre un volume osseux réduit dans les secteurs postérieurs par rapport à la région antérieure (Fig 1b). Le scanner mandibulaire révèle un volume osseux satisfaisant au niveau de la région symphysaire rendant possible l’option d’une extraction implantation immédiate (Fig. 1c et 1d). Dans les zones postérieures, la hauteur osseuse disponible est réduite, notamment au niveau du secteur 4.
Fig. 1b
Fig. 1c
Fig. 1c
Plan de traitement
Il a été décidé d’extraire les dents mandibulaires et de poser 5
implants dans la région symphysaire. Le fait que la patiente ne supporte
pas de prothèse amovible nous a orienté vers un moyen de temporisation
immédiat et fixe.
Analyse prothétique pré-implantaire
Si la pose des implants ne comporte pas de difficulté technique particulière, le projet prothétique, quant à lui, nécessite une analyse plus poussée. Le pré-montage prothétique guidera la position des implants.
L’harmonie des trois étages de la face laisse suggérer que la dimension verticale est plutôt maintenue grâce à l’égression passive des dents antérieures. Ce phénomène associé à l’abrasion a réduit énormément le volume prothétique, notamment en hauteur.
Le principe de préparation du guide chirurgical et du bridge provisoire est le même que celui de la préparation d’une prothèse complète immédiate à une différence près: l’occlusion. On garde à l’esprit que l’occlusion du bridge provisoire répond au cahier des charges d’une prothèse fixe et non à celui d’une prothèse adjointe complète.
Préparation du guide chirurgical
Après la prise des empreintes primaires à l’alginate et des empreintes secondaires réalisées à l’aide d’un porte-empreinte individuel à la permadyne, un enregistrement des rapports intermaxillaires est effectué grâce à une plaque base d’occlusion (Fig. 2).
Fig 2 : Enregistrement des rapports intermaxillaires à l’aide d’une plaque base d’occlusion. Les modèles de travail sont issus d’une empreinte secondaire prise à l’aide d'un porte-empreinte individuel (PEI). Notez l’abrasion avancée des dents antérieures.
Par la suite, les modèles sont montés en articulateur avec une dimension verticale (DV) délibérément augmentée de 2 mm au niveau des incisives (Fig. 3a). En cas d’une surévaluation de la DV, il est plus simple de la réduire sur le provisoire que de l’augmenter.
Figs 3a à d : Après montage en articulateur, les différentes étapes de réalisation du montage directeur consiste à créer de la place pour les futures dents prothétiques et à matérialiser la réduction osseuse au niveau du guide. Une fois le montage terminé, il est dupliqué en guide résine acrylique transparente renforcé sur les faces vestibulaires.
Le bord incisal est pris comme point de référence pour le montage des dents. La hauteur prothétique nécessaire pour placer des futures dents de taille naturelles est assurée aux dépens de la crête osseuse par une réduction du plâtre (Fig. 3b). En apical du futur collet des dents, une distance de 3 mm est respectée, permettant l’espace entre les piliers implantaires et le futur col anatomique des dents. Il est désormais possible de finir le montage esthétique.
Fig. 3b
Un duplicata du montage est réalisé en résine acrylique transparente (Fig. 3c). La partie échancrée vestibulaire permet le contrôle visuel du niveau osseux pendant la chirurgie de réduction de la crête. Le guide est évidé sur la partie occlusale de la 46 à la 36 (Fig. 3d).
Fig. 3c
Fig. 3d
L’étape chirurgicale
Après extraction des dents antérieures résiduelles et nettoyage minutieux des alvéoles, la crête osseuse est réduite selon les informations données par le guide chirurgical. Par la suite, afin d'assurer une bonne stabilité primaire, 4 implants cylindriques et 1 conique sont posés dans le couloir prothétique défini par le guide. Ils sont répartis d’une façon optimale pour réduire les extensions et assurer une base de sustentation au projet prothétique (Fig. 4a).
Un pilier conique MUA (Multi Unit Abutment, Nobel Biocare) est vissé sur chaque implant. Les espaces péri-implantaires sont comblés au Bio-Oss (Geistlich). Des transferts d’empreinte sont fixés sur les piliers au fur et à mesure de la fermeture du lambeau par des fils résorbables (Fig. 4b).
Figs 4a et 4b : Après avulsions des dents, toilettage des alvéoles, la réduction de la crête osseuse est réalisée et 4 implants Branemark Mk3 4x13mm + 1 Replace 4.3x13mm (Nobel Biocare) sont posés. Notez la répartition optimale des implants sur l’arcade. Des transferts d’empreinte sont montés sur les piliers MUA. La radiographie panoramique post opératoire montre des implants distaux inclinés en postérieur, réduisant ainsi la future extension distale.
Fig. 4b
L’empreinte immédiate
Le même guide chirurgical sera utilisé comme PEI après que son insertion passive ait été vérifiée en meulant les points qui rentrent en contact avec les transferts. Des fenêtres sont ouvertes en vestibulaire au niveau de chaque transfert d’empreinte. Une feuille de digue en forme de fer à cheval est utilisée pour protéger le lambeau et éviter la prise des fils de sutures dans le matériau d’empreinte. Un mordu en silicone, préparé sur l’articulateur, est utilisé pour aider à retrouver facilement le bon positionnement du guide. La patiente va maintenir le PEI en place sous pression occlusale. On injecte du composite autopolymérisable au pistolet (Restautomix) par les ouvertures autour des transferts (Fig. 5). Par la suite, il est possible d'ajouter du composite par la face occlusale si des manques apparaissent. La dernière étape consiste à enregistrer la relation centrée grâce à trois mordus en résine Duralay.
L’ensemble est dévissé puis déposé et les capuchons de cicatrisation sont rapidement vissés sur les MUA.
Fig 5 : Après retouches, le guide chirurgical sert maintenant de porte-empreinte individuel. Un mordu en silicone aide à trouver le bon positionnement du guide pendant l’empreinte. Du composite injectable est utilisé comme matériau d’empreinte. L’enregistrement de la relation centrée est pris à l’aide de mordu en résine Duralay.
Etapes de laboratoire
L’empreinte est traitée comme une empreinte de prothèse adjointe complète, coffrage et coulée de plâtre après avoir comblé les zones de contre dépouilles par de la cire rose et après avoir coulé de la fausse gencive (Fig.6a). Après démoulage, le modèle de travail est monté en articulateur grâce aux mordus en Duralay contre l’arcade antagoniste, elle-même montée au préalable. Ainsi, la dimension verticale et la relation centrée sont conservées et le PEI préfigure également le montage esthétique.
Figs 6a à c : Après coffrage du PEI, de la fausse gencive est coulée suivi d’une coulée de plâtre. Le bridge provisoire est monté en cire et une mise en moufle s’en suit. Après réduction, réglages de l’occlusion sur l’articulateur et polissage, le bridge provisoire est prêt. La photo clinique montre le bridge provisoire, 4 mois après l’intervention.
Le technicien de laboratoire va alors réaliser un bridge provisoire avec des dents en résine et de la cire. La mise en moufle assure une bonne qualité de résine sur l’ensemble du bridge (Fig. 6b). La réalisation de toutes les étapes de laboratoire nécessite au moins 6 heures de travail incompressibles.
Fig. 6b
Pose du bridge provisoire immédiat
La pose du bridge provisoire est prévue généralement pour le lendemain.
Après une stérilisation à froid du bridge, les capuchons de cicatrisation sont dévissés et le bridge vissé à 15 N.cm. Les réglages de l’occlusion sont minimes quand toutes les étapes sont respectées. La patiente est revue à 2 semaines puis à 2 mois pour des contrôles (dépose des fils de sutures, réglages occlusaux etc…).
La prothèse d’usage
Quatre mois après l’intervention (Fig. 6c), le bridge provisoire est déposé, les piliers MUA serrés à 15 et 35 N.cm respectivement pour les angulés et les droits. Cette étape valide la bonne ostéointégration des implants. Le PEI utilisé pour l’empreinte immédiate (Fig. 7a et 7b) sert à nouveau pour l’empreinte de la prothèse d’usage qui sera prise au plâtre. L’avantage du PEI réside dans le fait qu’il représente la bonne dimension verticale.
Fig. 6c
Figs 7a et b : Après validation de l’ostéointégration des implants, une empreinte au plâtre est prise à l’aide du même PEI que pour l’empreinte immédiate.
Après validation d’une clé en plâtre (Fig. 8), le technicien de laboratoire réalise le montage esthétique et une maquette de l’infrastructure en titane qui sera usinée par CFAO, ce qui assure une passivité d’insertion parfaite. Le bridge provisoire est utilisé pour monter le modèle de travail en articulateur. Des clés en silicone vestibulaire et linguale enregistrent le volume prothétique du bridge provisoire. Une fois les dents montées sur l’infrastructure en titane à l’aide de la cire est validé, la mise en moufle est effectuée et la prothèse d’usage est terminée.
Fig. 7b
Figs 8 : Avant l’usinage par CFAO de l’infrastructure en titane (PIB, Procera Implant Bridge, Nobel Biocare), une clé en plâtre valide l’empreinte. Bien que non nécessaire techniquement, cette étape est importante pour valider la garantie de l’infrastructure auprès du fabricant.
La pose consiste en premier lieu à stériliser à froid le bridge, vérifier le serrage des MUA puis visser le bridge à 15 N.Cm (Fig. 9a et 9e). Les futs d’accès au vis sont obturés par du composite posé sur une boulette de coton. Un contrôle à un mois est programmé. Par la suite, la maintenance consiste à déposer ou pas la prothèse d’usage tous les 6 mois ou tous les ans selon l’efficacité du contrôle de plaque du patient et en fonction de ses antécédents (parodontite, tabac, etc…). A 5 ans, la stabilité du niveau osseux est maintenue autour des cols implantaires malgré un remodelage osseux un peu plus important au niveau de l'implant en 45.
Figs. 9a à e : Le bridge provisoire a réussi à donner satisfaction à la patiente aux niveaux esthétique, phonétique et masticatoire. Par conséquent, la prothèse d’usage n’est qu’une copie améliorée de ce bridge provisoire. Notez, sur les retro-alvéolaires, la parfaite adaptation de l’armature sur les piliers.
Fig. 9b
Fig. 9c
Fig. 9d
Fig. 9e
Fig 10 : Cette approche a offert à la patiente une solution provisoire fixée optimale et un passage naturel à la prothèse d’usage sans période d’adaptation.
Conclusion
Le protocole d’extraction-implantation et temporisation immédiates a offert à cette patiente une solution provisoire fixe, esthétique et fonctionnelle sans avoir à passer par la phase de la prothèse amovible qui peut être très difficile à faire accepter au patient d'un point de vue psychologique. De plus, le bridge provisoire immédiat est un excellent moyen d’augmenter la prévisibilité de la prothèse d’usage car il sert de « tuteur » pour tous les paramètres prothétiques tels que la dimension verticale, la phonation, la mastication, l'occlusion et l'esthétique.
Lectures conseillées
Antoun H, Belmon P, Cherfane P, Sitbon JM. Immediate Loading of Four or Six Implants in Completely Edentulous Patients. Int J Periodontics Restorative Dent 2012;32:e1–e9.
Pierre Cherfane. Mise en Charge Immédiate chez l’édenté complet : Taux de survie implantaire et les niveaux de preuve des différents paramètres. Alpha Omega, Edition spéciale, 10 points clés en implantologie 2009, 68-77.
Papaspyridakos P, Chen CJ, Chuang SK, Weber HP. Implant loading protocols for edentulous patients with fixed prostheses: a systematic review and meta-analysis.Int J Oral Maxillofac Implants 2014;29 Suppl:256-270.
Les auteurs
Hadi Antoun
Exercice privé limité à l'implantologie et la parodontologie
Paris Fondateur de l'IFCIA.
Pierre Cherfane
Implantologie-Parodontologie exclusives
DU d’Implantologie Chirurgicale et Prothétique, Paris 7 Paris