Réhabilitation complète : de la chirurgie pré-implantaire à la prothèse d’usage 6 novembre 2014
Le cas clinique
Anamnèse et état général
- Une femme de 63 ans, sans antécédents médicaux et sans contre-indication d’ordre général, consulte pour un plan de traitement global. Elle fume 15 cigarettes par jour et a l’impression d’avoir subi «40 ans de soins dentaires».
- Elle a peu d’estime pour ses dents. Jamais informée des maladies parodontales, elle n’a jamais reçu de traitements parodontaux ni d’instructions sur l’hygiène bucco-dentaire. Sa demande fonctionnelle et esthétique est importante.
On observe:
- le port de 2 prothèses adjointes avec des crochets visibles et un espace prothétique convenable,
- le dépôt de tartre en quantité importante avec des colorations,
- édentement maxillaire antérieur, bridge ancien secteur 2, récessions et rétraction parodontale importantes,
- saignements plus ou moins importants au sondage, lésions endodontiques et mobilités à un stade terminal au maxillaire,
- relevé topographique de poches initial avec poches généralisées de 8 à 15 mm, atteinte de furcation au niveau de 16 et 48 en mésio-version,
- migrations dentaires, gencive flottante surtout au niveau de l’édentement mais kératinisée et épaisse,La mastication est difficile,
Fig. 1 : Examen clinique initial montrant le port de prothèses amovibles avec des crochets visibles, du tartre en grande quantité et des dénudations radiculaires. Une situation vécue douloureusement par la patiente.
Fig. 2 : L’édentement antérieur a abouti à une crête et une gencive flottante. Le biotype parodontal reste, malgré tout, épais.
Fig. 3 : Radiographie panoramique de départ montrant la profondeur des lésions parodontales, atteintes de furcations, perte osseuse généralisée et caries profondes notamment au maxillaire.
- L’examen radiologique cone beam (Fig 4a et 4b) montre des racines en dehors des procès alvéolaires, des crêtes minces, des molaires entourées par d’importantes zones d’ostéolyse, une destruction quasi complète des tables vestibulaires et palatines ainsi qu'une faible hauteur sous sinusienne sans effraction de la paroi inférieure.
Fig. 4a et b : Radiographies cone beam montrant des racines de dents résiduelles en dehors des procès alvéolaires, une lyse osseuse importante ayant entrainé une faible hauteur osseuse sous sinusienne et une épaisseur osseuse réduite.
Fig. 4b
Novembre 2011
Décision thérapeutique
- Traitement parodontal initial : surfaçage radiculaire, motivation, enseignement à l’hygiène bucco-dentaire et maintenance,
- Extractions des dents maxillaires supérieures,
- Prothèse amovible complète transitoire,
- Greffes d’apposition antérieures et comblement sinusien bilatéral,
- Pose de 8 implants enfouis,
- Mise en fonction et mise en charge,
- Prothèse complète d'usage céramo-zircone transvissée.
- La prothèse amovible complète transitoire (Fig. 5), pré-préparée grâce à un PEI espacé, devra répondre à tous les critères esthétiques, fonctionnels et d’occlusion et sera notre meilleure alliée pour la suite du traitement. Elle devra donc être réalisée avec soin comme s’il s’agissait de notre seul plan de traitement. Une période raisonnable de maintenance parodontale (Fig. 6), de cicatrisation et de validation esthétique et fonctionnelle de cette première étape thérapeutique est nécessaire.
- Une analyse esthétique précise prenant en compte les variations anatomiques, le support de la lèvre, la position osseuse résiduelle, les proportions dentaires et leurs positions est indispensable afin de connaître l’espace prothétique disponible, nécessitant ou non la réalisation d’une prothèse d’usage avec une fausse gencive.
Fig. 5 : La prothèse amovible complète transitoire doit donner entière satisfaction tant au niveau fonctionnel qu’esthétique. Elle sera déterminante pour la suite du traitement.
Fig. 6 : Le traitement parodontal initial devra être accompagné d’une maintenance rigoureuse ainsi que d’une motivation sans faille. C’est un préalable indispensable avant tout traitement implanto-prothétique.
Mars 2012
Chirurgie pré-implantaire (Fig. 7)
- Sont réalisés dans la même séance un comblement sinusien bilatéral ainsi qu'une greffe d’apposition dans les secteurs antérieurs avec des blocs de TBF (Phoenix®) d’origine allogénique issus de cadavres frais et fixés avec 2 vis d’ostéosynthèse chacun.
Fig. 7 : Un comblement sinusien bilatéral ainsi qu’une greffe d’apposition dans les secteurs antérieurs seront réalisés lors de la même séance. L’utilisation d’os de banque d’origine allogénique évitera à la patiente un important prélèvement autogène et permettra des suites opératoires plus simples.
Octobre 2012
Mise en place de 8 implants (Fig. 8)
- Un contrôle radiographique 3D de la cicatrisation osseuse avec un guide radiologique et chirurgical (duplicata de sa prothèse amovible complète) sera réalisé. Huit implants (Branemark System MK3 et Speedy Groovy, Nobel Biocare) sont alors mis en place en méthode enfouie afin de permettre à la patiente de garder son appareil amovible pendant la phase de cicatrisation.
Fig. 8 : Après une période de cicatrisation de 6 mois, huit implants seront harmonieusement placés sur l’arcade en méthode enfouie.
Février 2013
Mise en fonction (Fig. 9)
- Réalisée après une période de cicatrisation implantaire (4 mois), elle permettra une mise en charge dans les 24 heures grâce à la prothèse amovible complète qui sera transformée en bridge provisoire. Une période de transition de plusieurs mois est alors nécessaire afin de vérifier tous les paramètres de fonction, de phonation et d’esthétique.
fig. 9 : Mise en fonction après 4 mois de cicatrisation. Mise en place de piliers MUA RP 1mm (Multi-unit Abutment®, Nobel Biocare) vissées à 35N/cm. Des cylindres provisoires seront placés et serviront à une empreinte immédiate.
Septembre 2013
Prothèse d’usage céramo-zircone transvissée (Figs. 10 à 12)
- Une empreinte au plâtre est réalisée avec les transferts en place. Même avec une grande précision, une clé en plâtre sera tout de même essayée afin de valider cette étape. Un montage esthétique est effectué et essayé en bouche. Après validation, la fabrication de l’armature en zircone par CFAO peut commencer. Cette méthode va garantir la passivité d’adaptation par rapport aux armatures coulées. L’armature en zircone présente d’excellentes propriétés mécaniques, et aussi de biocompatibilité.
- La stratification de la céramique pourra alors démarrer. Une épaisseur de céramique de 1,5 à 2 mm maximum permettra d’éviter toute fracture de la céramique.
- La qualité du travail et l’expérience du prothésiste sont déterminants dans la réussite de cette étape. Un délai suffisant, d’environ un mois, pour la réalisation de l’armature zircone et la stratification de la céramique est nécessaire.
Fig. 10 : La forme, le profil d’émergence et l’intrados du bridge provisoire permettront une meilleure intégration biologique et esthétique de la reconstruction définitive.
Fig. 11 : L’empreinte sera réalisée grâce à un PEI et de préférence toujours au plâtre pour l’obtention d’une armature passive.
Fig. 12 : L’armature en zircone (Procera®, Nobel Biocare) est réalisée ainsi que la stratification de la céramique. Noter la présence et la qualité de la fausse gencive en céramique rose afin de palier à la résorption osseuse dans le sens vertical (Prothésiste M. Jean-Pierre Casu, laboratoire Kosmeteeth, Nice).
- La pose en bouche (Fig. 13 à 15) est réalisée lors d’une longue séance qui permettra de vérifier la passivité de l’insertion de la prothèse ainsi que tous les paramètres fonctionnels et esthétiques déterminés lors de la période transitoire du bridge provisoire. L’occlusion sera réglée, si besoin, en bouche.
Fig. 13 : Pose de la prothèse d’usage en bouche et réglage de l’occlusion.
Fig. 14 : Vue clinique occlusale montrant la répartition harmonieuse des implants sur l’arcade maxillaire, malgré le positionnement plus palatin des implants antérieurs afin d’éviter la partie corticale des greffes d’apposition.
Fig. 15 : Ligne du sourire idéalisée et très bonne intégration esthétique de la prothèse d’usage permettant une satisfaction de la patiente au niveau tant fonctionnel qu’esthétique.
Conclusion
Le but principal d’une telle réhabilitation prothétique, qui aura duré deux ans, est la satisfaction de la patiente, du point de vue tant fonctionnel qu’esthétique.
Un projet pré-prothétique préalable est indispensable et sera déterminant dans le cheminement du plan de traitement, la prothèse guidant la chirurgie et non l’inverse. L’expérience et l’entente de l’équipe chirurgico-prothétique associées à celles du prothésiste de laboratoire seront la clé de réussite de ce type de traitement.
Une maintenance parodontale et une motivation permanente sont indissociables de la longévité du traitement, la patiente devant être accompagnée lors de toutes les étapes du traitement.
Lectures conseillées
Attard N. J., Zarb G. Long-term treatment outcomes in edentulous patients with implant-fixed prostheses: the Toronto study. Int J Prosth 2004;17:417-424.
Antoun H. Les greffes de sinus en implantologie, éditions CdP, 2011
Mainjot AK, Schajer GS, Vanheusden AJ, Sadoun MJ. Influence of zirconia framework thickness on residual stress profile in veneering ceramic: measurement by hole-drilling. Dent Mater 2012:28:378-84.
Novell J, Novell-Costa F, Ivorra C, Fariñas O, Munilla A, Martinez C. Five-year results of implants inserted into freeze-dried block allografts. Implant Dent. 2012;21:129-135.
Les auteurs
Hadi Antoun
Exercice privé limité, à l'implantologie et la parodontologie, Paris.
Fondateur de l'IFCIA.
Joseph Eid
Exercice privé, Neuilly sur Seine
D.U. Chirurgie & Prothèse implantaires
Paris V