Préserver et reconstruire les volumes osseux : sécuriser ses pratiques implantaires en appliquant la navigation chirurgicale ? 10 décembre 2018
Préserver et reconstruire les volumes osseux : sécuriser ses pratiques implantaires en appliquant la navigation chirurgicale ?
Retour sur l’intervention du Dr. Hadi Antoun au symposium national Osteology qui s’est tenu à Paris du 18 au 20 octobre 2018
Le Dr. Hadi Antoun a été invité à parler, le 19 octobre 2018 au symposium national Osteology, de la manière dont la navigation chirurgicale contribue à sécuriser les pratiques implantaires, notamment lorsqu’il s’agit de préserver et/ou de reconstruire des volumes osseux.
Malgré l’évolution extraordinaire des technologies, conserver une dent le plus longtemps possible reste souvent la meilleure alternative pour nos patients.
Lorsqu’il s’agit de traiter les patients, plusieurs questions se posent :
- Est-ce que j’offre à mon patient la meilleure option thérapeutique possible ?
- Est-ce que je fais bénéficier celui-ci des dernières avancées technologiques ?
- Est-ce que ces nouveautés sont suffisamment étayées au niveau scientifique et donc sûres pour le patient, y compris au long terme ?
Il existe un dilemme perpétuel entre l’innovation technologique et le recul scientifique. Cela conduit à une interrogation fondamentale : comment fait-on évoluer nos pratiques sans pour autant prendre nos patients pour des cobayes ?
L’implantologie dentaire ne date pas d’hier
Les bases de l’implantologie moderne ont été posées dans les années 1980 avec un recul scientifique sans précédent : les Suédois avaient en effet attendu 15 ans avant de publier leurs premiers résultats !
L’équipe suédoise de Brånemark était déjà confrontée aux manques de volume osseux et a publié dès les années 1980 les résultats de leurs premiers travaux sur les augmentations osseuses [1, 2].
Au début de ma carrière, j’ai eu la chance de côtoyer Carl Misch qui a été précurseur dans les augmentations osseuses autogènes en bloc avec prélèvement intra-oral ainsi que dans les greffes de sinus. Il a grandement contribué à rendre accessibles ces deux techniques aux chirurgiens-dentistes, ce qui a, par conséquent, permis à un plus grand nombre de patients à travers le monde d’en profiter [3].
Depuis les années 1990, les techniques d’augmentations osseuses ont évolué. Dans les années 1990, sont apparues la ROG (Régénération Osseuse Guidée) ainsi que l’expansion osseuse qui se sont distinguées par leur approche biologique et moins invasive.
L’évolution des techniques d’augmentations osseuses
De la technique autogène en bloc à la technique du coffrage
La première évolution concerne le passage de la greffe osseuse autogène en bloc -avec un prélèvement cortico-spongieux réalisé au niveau de la symphyse mentonnière- à la technique de coffrage développée par Fouad Khoury -qui consiste en un prélèvement ramique cortical affiné dans le sens de l’épaisseur [4]. Michel Jabbour a également beaucoup travaillé sur ce sujet en France et a régulièrement présenté des résultats intéressants obtenus avec cette approche.
La technique du prélèvement symphysaire donnait des résultats honorables, notamment en plaçant les blocs cortico-spongieux directement sur le défaut osseux et en les couvrant de Bio-Oss et d’une membrane -résorbable ou non-. En 2001, nous avons publié une étude qui montre une différence significative entre les greffes en onlay avec et sans membranes, avec une bien meilleure préservation du volume osseux en utilisant une membrane [5].
Aujourd’hui, la technique du coffrage est toutefois privilégiée. Elle permettrait en effet une meilleure revascularisation et une meilleure régénération osseuse, sans parler des suites sensorielles possibles avec le prélèvement symphysaire.
Les premières expansions
Dans cette suite logique plus biologique et donc plus conservatrice, l’expansion osseuse permet une meilleure conservation du tissu osseux avec des avantages biologiques indéniables. Conservatrice car elle permet de préserver la table Vestibulaire qui est déplacée en regard des implants. Biologique car elle ouvre et libère l’espace médullaire, source essentielle des cellules cellules-souches mésenchymateuses pluripotentes.
Néanmoins cette approche n’a pas que des avantages : l’absence de protocole précis l’a toujours rendue sensible comme technique et aléatoire en termes de reproductibilité. Plusieurs difficultés concernent d’une part les tracés et la profondeur des ostéotomies et d’autre part la fracture et le déplacement non contrôlée de la table V.
Les évolutions dont les expansions ont bénéficié
Plusieurs évolutions ont permis et permettent de rendre l’approche de l’expansion plus accessible. D’abord, l’introduction de la piézo-chirurgie a apporté beaucoup d’avancées et de confort pour le praticien et pour les patients. Ensuite, la chirurgie guidée statique joue un rôle important pour envisager des alternatives à l’augmentation osseuse (avec des implants courts, de plus petit diamètre ou des implants angulés).
En parallèle s’est également développée la chirurgie guidée dynamique (NAVIDENT) : après une planification numérique, cela permet de suivre en temps réel la progression de nos forêts et de la mise en place des implants. Nous sommes en mesure de contrôler notre trait d’ostéotomie que ce soit dans le plan sagittal, frontal ou transverse. Il s’agit d’une avancée incontestable dans le contrôle de notre geste.
Peut-on dire aujourd’hui que la mise en place d’un implant à travers un guide numérique est le gold standard ? Il est difficile de contrôler à l’œil nu son placement implantaire dans les trois dimensions de l’espace. La chirurgie guidée a permis de réduire cette variabilité dans le positionnement sur le plan inter-individuel mais aussi sur le plan intra-individuel. Il existe une différence significative de la précision obtenue en chirurgie guidée et cela met cette technique au rang du gold standard pour le positionnement implantaire [6].
Le concept d’implantologie guidée par la prothèse évolue très vite et se combine avec des outils numériques en 3D : cela nous permet de réaliser aujourd’hui des augmentations osseuses guidées avec une prévisualisation du volume à greffer (YXOSS, GEISTLICH).
Notre évolution de l’approche de l’expansion : contrôle et maîtrise de la table vestibulaire
Riche de ces différentes évolutions et expériences, nous avons fait évoluer la technique de l’expansion en contrôlant le déplacement de la table vestibulaire et en maîtrisant son immobilisation. Georges Khoury (7) a lui-aussi fait évoluer cette technique dans un sens similaire. Il a d’ailleurs, à travers ses différentes présentations, montré l’intérêt d’associer des vis d’ostéosynthèse particulières qu’il a développées afin de mieux maîtriser l’expansion osseuse.
La technique consiste à réaliser un premier décollement de la corticale vestibulaire et de fixer dans un premier temps une vis d’ostéosynthèse dans la corticale vestibulaire puis de compléter notre perforation, en transperçant la corticale linguale. Cela permet de contrôler, grâce à cette vis d’ostéosynthèse, l’écartement c’est-à-dire l’expansion dans le sens horizontale sans prendre le risque de la perdre et qu’elle se déloge. Il est ensuite possible de commencer le forage qui se fait au-delà de la limite de l’expansion apicale -en fonction des situations- pour pouvoir placer les implants. Assez souvent, il y a très peu de stabilité primaire avec ce type d’approche mais elle n’est pas tout à fait indispensable dans la mesure où on a ce pouvoir ostéogénique et on peut plaquer grâce à la vis d’ostéosynthèse la table vestibulaire sur les implants pour améliorer leur immobilisation.
Que dit la littérature sur les expansions osseuses ?
Il est vrai que nous n’avons pas beaucoup d’études prospectives mais nous avons un ensemble d’études rétrospectives avec un grand nombre de patients [8, 9, 10]. Le taux de survie est proche de ce que l’on obtient lorsque l’on place des implants dans des sites cicatrisés.
Que nous dit la littérature sur les facteurs d’influence et quelles sont les recommandations que nous pouvons en tirer ?
- Il est préconisé d’utiliser plutôt des implants de petit diamètre et des implants longs. Les implants de gros diamètres et les implants courts présentent en effet un taux d’échec plus important [11].
- Il n’y aurait pasde différence entre la technique conventionnelle et la piézo-chirurgie [12], ni entre les lambeaux de pleine épaisseur et ceux d’épaisseur partielle [13].
- De plus, l’association d’une régénération osseuse guidée montre, sur des études animales -le chien-, une bien meilleure augmentation horizontale et une meilleure préservation de l’os inter-proximal [14].
- Enfin, une corticale plus fine se résorberait moins qu’une corticale épaisse [15].
Quel est notre recul sur l’approche de l’expansion que je viens de vous présenter ? Nous avons répertorié l’ensemble des cas traités au cabinet par cette nouvelle approche. Nous avons traité plus de 50 patients (fig.1), dont certains ont bénéficié d’une greffe de sinus. La moitié des patients a bénéficié d’implants immédiats et les autres d’implants différés, avec un recul moyen de 4,6 ans (fig. 2). On a eu deux cas d’infection et une perte d’implants (fig. 3).
Fig.1
Fig.2
Fig. 3
En définitive, l’expansion exploite mieux que d’autres approches le pouvoir ostéogénique de la médullaire et permet de positionner la corticale en vestibulaire des implants. Cette approche de l’expansion permet en outre le contrôle du déplacement de la table V et sa fixation, qui était le plus gros souci de l’expansion.
Références :
[1] Breine U., Brånemark PI., “Reconstruction of alveolar jaw bone. An experimental and clinical study of immediate and preformed autologous bone grafts in combination with osseointegrated implants”, Scand J Plast Reconstr Surg., 1980;14(1):23-48.
[2] Brånemark PI, Hansson BO, Adell R, Breine U, Lindström J, Hallén O, Ohman A., “Osseointegrated implants in the treatment of the edentulous jaw. Experience from a 10-year period”, Scand J Plast Reconstr Surg Suppl., 1977.
[3] Antoun Hadi, Les greffes de sinus en implantologie, CDP Initiatives Santé, Coll. JPIO, 2011
[4] Khoury F., Antoun H., Missika P., Bone Augmentation in Oral Implantology, Quintessence Publishing Co Ltd, 2006 et Antoun, Cherfane et Billereau, 2007.
[5] Antoun H, Sitbon JM, Martines H, Missika P., “A prospective randomized study comparing two techniques of bone augmentation: onlay graft alone or associated with a membrane”, Clin. Oral Impl. Res. 12, 2001, 632-639.
[6] Younes F, Cosyn J, De Bruyckere T, Cleymaet R, Bouckaert E, Eghbali A, “A randomized controlled study on the accuracy of free-handed, pilot-drill guided and fully guided implant surgery in partially edentulous patients”, J Clin Periodontol., 2018;45(6):721-32.
[7] Khoury G, Régnier R. Ostéotomie transversale. Dossier spécial: La mandibule atrophiée. AONews. 2017;15:11-13.
[8] Bassetti MA, Bassetti RG, Bosshardt DD., « The alveolar ridge splitting/expansion technique: a systematic review”, Clin. Oral Impl. Res., 27, 2016, 310–324.
[9] Waechter J. , Leite F. R., Nascimento G. G., Carmo Filho L. C., Faot F., “The split crest technique and dental implants: a systematic review and meta-analysis”, Int. J. Oral Maxillofac. Surg. 2017; 46: 116–128.
[10] Mestas G, Alarcón M, Chambrone L., “Long-Term Survival Rates of Titanium Implants Placed in Expanded Alveolar Ridges Using Split Crest Procedures:A Systematic Review », Int J Oral Maxillofac Implants, 2016;31(3):591-9.
[11] Bravi F, Bruschi GB, Ferrini F., “A 10-year multicenter retrospective clinical study of 1715 implants placed with the edentulous ridge expansion technique”, Int J Periodontics Restorative Dent. 2007;27:557-65.
[12] Elnayef B, Monje A, Lin G-H, Gargallo-Albiol J, Chan H-L, Wang H-L, Hernández-Alfaro F. Alveolar, “Ridge Split on Horizontal Bone Augmentation: A Systematic Reviw”, Int J Oral Maxillofac Implants, 2015;30:596–606 .
[13] J. Waechter, F. R. Leite, G. G. Nascimento, L. C. Carmo Filho, F. Faot, “The split crest technique and dental implants: a systematic review and meta-analysis”, Int. J. Oral Maxillofac. Surg., 2017; 46: 116–128.
[14] Stricker A, Fleiner J, Stübinger S, Fleiner H, Buser D, Bosshardt DD., “Ridge preservation after ridge expansion with simultaneous guided bone regeneration : a preclinical study”, Clin. Oral Impl. Res., 27, 2016; e116–e124.
[15] Beolchini M, Lang NP, Ricci E, Bengazi F, Triana BG, Botticelli D., “Influence on alveolar resorption of the buccal bony plate width in the edentulous ridge expansion (E.R.E.) An experimental study in the dog”, Clin. Oral Implants Res, 2015;26:109-14.